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Le journal The Evening Sun, basé à Liberty (Kansas), possède une branche dont la rédaction est située en France, dans la ville d'Ennui-Sur-Blasé: The French Dispatch est une tradition du quotidien, qui s'honore d'avoir réussi à établir aussi loin de la maison-mère une tradition de journalisme intransigeant... Mais le supplément est condamné à très brève échéance, car le directeur (Bill Murray) qui vient de mourir a stipulé dans on testament que le journal cesserait de paraître après son décès. Le dernier numéro reprend donc trois articles mythiques et un éloge funèbre...
Un prologue aux trois autres parties contient un segment sur un journaliste cycliste, Herbsaint Sazérac (Owen Wilson), qui nous permet de visiter la ville; le premier des trois articles est l'oeuvre de la très respectée J.K.L. Berensen (Tilda Swinton) qui nous raconte l'étrange épopée du peintre psychopathe Moses Rosenthaler (Benicio Del Toro), depuis sont enfance au Mexique jusqu'à son enfermement dans une prison, où sa relation clandestine avec une gardienne de prison (Léa Seydoux) va provoquer une révolution artistique; le deuxième article s'intéresse à une mini-révolution qui ressemble beaucoup à Mai 68 (il y est question pour les garçons d'avoir accès au dortoir des filles à l'université d'Ennui-sur-Blasé): l'article est signé Lucinda Kremetz (Frances McDormand) qui a bien connu le meneur estudiantin Zeffirelli (Timothée Chalamet) avec lequel elle a eu une aventure; enfin, le dernier article est dû à la plume de Roebuck Wright (Jeffrey Wright), dont une enquête culinaire va se transformer en une véritable histoire policière, avec enlèvement d'enfant à la clé...
C'est extravagant, et on peut le dire tout de suite, ce film, le plus franchement excentrique de toute la production de Wes Anderson, n'a pas plu à tout le monde. Entre une ovation de dix minutes à Cannes où il a été projeté, et des articles acerbes voire vengeurs de nombreux médias de par le monde (pour certains articles, on en viendrait à se demander sil n'y avait pas une sourde, sournoise, et très ancienne envie de s'essuyer les pieds sur le petit génie Texan), la réception a été, disons, variée... Bien sûr, il y a aussi eu des critiques très positives, mais l'occasionnelle volée de bois vert est notable justement parce que c'est rare dans l'histoire du metteur en scène. Pour ma part, j'admets que le film n'est sans doute pas, sur bien des points, son meilleur, mais cette vendetta ne se justifie en rien: d'une part, Anderson a lui-même choisi de faire le contraire de ce qu'il a toujours fait en proposant un film à segments, dans lequel les personnages se multiplient, tout en amenuisant leur portée.
Donc oui, en effet, on pourra se plaindre de rester trop peu de temps avec Lucinda Kremetz et Zeffirelli par exemple, ou on pourra déplorer que la petite amie de celui-ci soit un personnage moins développé que Agathe, la petite pâtissière (Saoirse Ronan) de The grand Budapest Hotel, qui donnait à tout le film un parfum de nostalgie triste par son passage. Mais le propos, qui à mon sens complète et prolonge The Grand Budapest Hotel (sans doute LE meilleur film d'Anderson) est bien moins de s'intéresser aux personnages, que de rendre hommage à trois univers bien particuliers, et imbriqués les uns dans les autres: la France de toujours ou de jamais, non pas celle des années 50, 60 ou 70 telle qu'elle donne l'impression d'être représentée dans le film, mais bien son double fictif, cette France vue à travers les films tournés souvent en langue anglaise, dans les années 30, 40, 50 et 60 justement, par des Lubitsch, des Wilder, Blake Edwards ou d'autres génies. Une France décalée, inexistante, que Wes Anderson recrée à grand renfort de noms tous plus gentiment impossibles les uns que les autres (Nescaffier, Le Boulier, la gardienne Simone, et... Zeffirelli?), et qui sent bon le cinéma: Love in the afternoon, Irma La Douce ou Bluebeard's eighth wife, par exemple. Et on y fume des Gaullistes...
Autre tradition explicitement référencée, celle du cinéma français. Comme j'en ai marre qu'on profite de Wes Anderson pour montrer sa science en ce qui concerne Godaut et Truffard, qui sont effectivement tous deux dans le panthéon du cinéaste (c'est son droit), je vais me contenter ici de rappeler deux choses: d'une part l'influence évidente de Jacques Tati, plus forte sur ce film que d'habitude, et dont Anderson a emprunté la géniale maison-dédale de M. Hulot (c'était dans Mon Oncle); et d'autre part le commissaire joué par Mathieu Amalric est un ancien colonial, moustachu et malade, qui a ramené des colonies un petit orphelin métis. Il ressemble tellement à l'inspecteur Antoine (Louis Jouvet dans Quai des orfèvres de Clouzot) que c'en est troublant.
Enfin, il y a la presse, celle qu'on vilipende partout, de complotisme en manifestations, d'éditoriaux de tout petits candidats fascistes, en colère infantile de tous petits candidats d'extrême gauche. C'est pareil aux Etats-Unis, où un président a pu tenir quatre ans à nier tout et n'importe quoi en attaquant systématiquement les journalistes, pourtant la presse est supposée être une institution aux Etats-Unis. Anderson utilise donc le cinéma, et ses possibilités, pour envoyer une lettre d'amour amusée aux journalistes de terrain, comme il avait inscrit son film précédent dans une logique profondément littéraire. Avec The French Dispatch, on voit à l'oeuvre des journalistes investis à 100 % dans une recherche souvent tellement précise et minutieuse qu'elle en devient absurde, comme Berensen qui semble avoir passé sa vie entière à écrire un article sur Rosenthaler... des journalistes qui sont autant d'auteurs, et qui dépendent d'un rédacteur en chef qui saura exactement trouver quoi prendre et qui laisser dans leur production... Bref, des pros et des artistes. D'où un sens aigu de la digression qui se retrouve dans la forme délirante du film.
Et c'est peut-être ce qui a gêné dans ce film étrange, cette façon, mélangeant une constante référence au texte, dans ces images toujours aussi impeccablement et géométriquement horizontales, avec ces mouvements d'une caméra habitée qui nous oblige à la suivre, un coup à droite, un coup à gauche. Le film est un dédale de sollicitations textuelles, sonores et picturales, en 1:33:1 sur une large part mais pas que, aux couleurs pastel, mais parfois en noir et blanc en fonction des besoins... Il y a même de l'animation mal fichue (moins plaisante aux yeux en tout cas que les maquettes en image par image des poursuites de The Grand Budapest Hotel). La musique d'Alexandre Desplat est sans doute la partie la plus normale de ce drôle de film! C'est épuisant, mais on s'y fait très vite, et on sait qu'on y reviendra justement avec le plus grand plaisir... Enfin, moi, en tout cas.
Et pour finir, vous avez un aperçu du casting exceptionnel dans cet article. Mais il y a en a d'autres, et non des moindres... Allez y faire un tour, vous verrez...
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