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1862: Emile Zola (Paul Muni), jeune écrivain sans le sou, partage un appartement avec son ami Paul Cézanne (Wladimir Sokoloff). Ils sont heureux... La famille d'Emile lui apporte une bonne nouvelle, il est engagé chez un éditeur. Mais les écrits qu'il publie font scandale, et il est licencié... Il rencontre une femme de mauvaise vie qui le fascine et en fait le sujet d'un livre (c'est Nana), qui se vend sur une réputation scandaleuse; puis, devenu établi, il attaque l'armée à travers le roman La débâcle, qui raconte la défaite de Sedan à travers la corruption de l'Empire et la médiocrité des armée...
1894: l'affaire Dreyfus éclate. L'officier (Joseph Schildkraut) est condamné... Lucie Dreyfus (Gale Sondergaard), qui comme d'autres a accumulé un grand nombre de preuves de l'innocence de son mari (il est vrai qu'il n'y avait qu'à se pencher) décide faire appel au grand écrivain, au nom de son goût pour la justice. D'abord réticent, Zola accepte et lance avec l'aide de l'avocat Labori (Donald Crisp) et de Georges Clémenceau (Grant Mitchell), directeur de l'Aurore, un sacré pavé dans la mare: J'accuse...
Le titre est, bien sûr, trompeur: l'intérêt du film réside précisément dans sa présentation du rapport passionnant de Zola avec l'affaire Dreyfus, justement. Il aurait pu s'appeler J'accuse du reste, et Polanski ne s'en est par exemple pas privé... Mais The life of Emile Zola étant la deuxième collaboration entre l'acteur Muni et le metteur en scène Dieterle, le titre de ce nouveau film est calqué sur celui de The story of Louis Pasteur... On n'en saura donc assez peu sur Zola, dont Muni nous donne une caractérisation assez franchement irritante, et qui nous apparaît comme un vague littérateur assez folklorique, habitué à baser l'avancée de sa carrière sur les scandales qu'il pouvait provoquer. Pire, toute chronologie exacte est passée par-dessus bord, sans parler de l'abandon de toute référence aux Rougon-Macquart, dont la saga commence avec Nana. Peu importe: d'une part c'est du cinéma, et surtout le propos est ailleurs...
Car à l'heure où le nazisme s'installe, et menace ouvertement le reste de l'Europe, la Warner accepte de financer un film risqué, où Dieterle va s'attaquer au poison de l'antisémitisme systémique (dans l'armée française, bien entendu), sans que jamais les mots jew, jewish, judaism ne soient prononcés dans le film: un vrai tour de passe-passe, mais le tabou était vivace à Hollywood, comme en témoigne l'absence de cette famille lexicale dans The mortal storm (où on parle d'aryens et de non-aryens...) de Frank Borzage quatre ans plus tard.
Mais en relatant l'affaire Dreyfus, bien sûr simplifiée, et en la transformant en un courtroom drama assez classique (et même un peu trop), Dieterle déterre l'une des plus emblématiques luttes politiques, qui a eu des répercussions sur toute l'histoire politique de la France jusqu'au deuxième conflit mondial. Du coup, Dieterle va utiliser toutes les ressources dont il dispose dans l'histoire de l'affaire, pour exposer au monde ses craintes pour l'Allemagne: autodafés, manipulation de l'opinion, utilisation des boucs émissaires, manoeuvres de l'armée, justice travestie, censure des lettres de soutient de Madame Dreyfus... Derrière ces éléments, parfois académiques (ce que souligne la pesanteur du film, et la prestation excessive de Muni), Dieterle place ainsi un portrait des dictatures, qui fait d'un film raté une parabole fascinante.
Maintenant, le film méritait-il le fait d'être désigné meilleur film par l'académie des Oscars? Non, bien sûr, mais là encore, c'est sans doute un geste un peu politique. Qui a dit qu'Hollywood était non-interventionniste en 1937?
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