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15 mai 2022 7 15 /05 /mai /2022 07:59

En France occupée, un couvent situé dans un petit village sert de passage pour des aviateurs alliés. L'un d'entre eux, John (Ray Milland), rencontre une jeune novice, Soeur Clotilde (Barbara Britton), qui ne prend pas toute la mesure de la situation: entendant le Major Krupp (Konstantin Shayne), un officier Allemand qui menace de s'en prendre aux enfants si on refuse d'aider les forces d'occupation en dénonçant des soldats ennemis, elle lui fait comprendre qu'elle aurait de informations, et provoque un raid dans lequel la mère supérieure (Lucile Watson) est tuée. Clotilde décide donc d'aider John à fuir, et prend la place d'une résistante qui a été arrêtée, devenant pour l'accompagner dans son dangereux périple "l'épouse" de l'aviateur Américain...

Déjà, dans les années 20, Frank Borzage avait parfois, à son corps défendant, représenté la guerre, dont il est vrai qu'elle est omniprésente dans le cinéma Américain de l'époque: Hervé Dumont a révélé que pour cet hypersensible à fleur de peau, ça a toujours été un drame de devoir, dans Seventh Heaven, Lucky star ou plus tard dans A farewell to arms, représenter la violence, et contrairement à un William Wellman, ou un John Ford, la pyrotechnie et le grand spectacle de la guerre cinématographique le laissaient froid. Ce dernier, d'ailleurs, a peut-être été le réalisateur de seconde équipe des deux films muets Fox cités, pour justement capter des images du conflit que Borzage ne pouvait se résoudre à tourner lui-même! Donc, au moment de réaliser un film situé durant le conflit contemporain en ce milieu des années 40, il va avoir recours à beaucoup d'ellipses et de suggestion, mais surtout va développer le propos. Il l'avait d'ailleurs déjà fait pour son film The mortal storm, qui s'intéressait à la montée du péril politique en Allemagne avant l'internationalisation de la menace fasciste. Mais Till we meet again commence par une séquence qui montre bien la fragilité de la paix et de la sérénité: dès le générique, un panoramique vers la droite nous montre d'abord un village, probablement méridional, et idyllique, puis un clocher, avec des colombes. Enfin, une colonne de jeunes filles, toutes habillées de blanc: ce sont les pensionnaires du couvent où se déroulera l'action du premier acte. Sous la direction de Soeur Clotilde, une prière se déroule en plein soleil... Pendant ce temps, à l'extérieur, une colonne de nazis traque des résistants, et des coups de feu sont tirés: nous ne verrons pas l'escarmouche, mais nous l'entendons... Dès le départ, le caractère disruptif, perturbant et sale de la guerre est représenté, mais à l'économie...

Dans un film relativement court, qui ne totalise pas même 90 minutes, comme le contemporain Ministry of fear tourné également à la Paramount par Fritz Lang, Borzage va concentrer ses efforts sur une rencontre, entre un homme et une femme, une rencontre qui va s'effectuer en plein danger. Comme d'autres films, et je pense paradoxalement principalement à The day I met Caruso, dans lequel une petite fille, quaker, rencontrait le célèbre ténor dans un compartiment de train, pour une journée d'échange passionné, la confrontation imprévue va se dérouler sur un territoire inattendu en temps guerrier: quelque part entre le profane des sentiments et de la vie amoureuse, d'un côté, et le spirituel de l'engagement religieux de l'autre. En devenant pour de faux l'épouse de John, Clotilde se mue en femme, et sans jamais évidemment remplacer l'épouse légitime (il est marié, a des enfants, et le dit très vite, et ni Borzage ni la Paramount n'avaient sans doute envie d'encourir les foudres du code Hays), elle s'ouvre de son côté à tout un univers qu'elle a complètement occulté, et écoute avec stupeur un homme amoureux décrire la joie du mariage. Non la passion, qu'il garde sans doute pour lui, mais bien la joie quotidienne et absurde, la satisfaction d'être deux, les anecdotes amusantes et les drames terribles, vécus et ressentis à deux. Clotilde s'ouvre, non seulement à la vie, mais aussi à l'homme qui est en face d'elle...

Sous le fracas des bombes, à deux pas des agissements de nazis et de collaborateurs (Walter Slezak joue une fois de plus un salaud de façon impeccable, mais réussit à le doter d'une morale en faisant de lui un instrument du destin), la rencontre entre John et la novice va se dérouler en terrain neutre, sans jamais dévier, car les deux vont s'apprivoiser en douceur. Les gestes parfois effectués, repérés avec surprise par l'un ou l'autre, sont toujours austères mais font mouche: par exemple, lors d'une rencontre avec les occupants, Clotilde doit improviser, car la lumière met en valeur un trou béant, dont des taches de sang s'échappent, dans le manteau de son "mari". Elle place donc sa tête à l'endroit même, et quand elle la relèvera, elle aura elle aussi une tâche rouge, qu'il effacera de sa main. Quand elle se réveille à un moment, elle est troublée par la présence de la fausse alliance. Et n'oublions pas que chez Borzage, la présence d'une alliance vaut parfois tous les sacrements, peu importent les circonstances qui l'ont amenée sur le doigt!

Au milieu de péripéties liées à leur dangereuse mission, inévitables et fort bien troussées, l'essentiel du film tient dans cette paradoxale rencontre impossible entre une femme qui a choisi une voie et une seule, celle de la spiritualité, et est fort surprise de découvrir d'autres possibilités. Borzage réussit le miracle de se renouveler toujours plus en montrant pour la énième fois (The pitch of chance, Seventh Heaven, The river, A farewell to arms, A man's castle, ou Strange cargo) un couple de fortune se créer sous nos yeux, dans l'adversité, et se place en maître du mélodrame sublime, profitant au passage des circonstances, qui l'ont privée de l'actrice prévue (Maureen O'Hara, pressentie et déjà sous contrat, a du se retirer pour cause de grossesse), remplacée au pied levé par la quasi inconnue Barbara Britton, dont justement la naïveté, la jeunesse et l'inexpérience sonnent constamment juste dans cette merveilleuse intrigue de sacrifice et d'amour sans aucune issue. Inutile, je pense d'aller plus loin, on aura compris que Till we meet again est un des joyaux méconnus du réalisateur, l'un de ses derniers très grands films. Il est dans le domaine public, donc disponible, ce devrait être une bonne nouvelle, mais ça ne l'est pas: la qualité des nombreuses copies en circulation (DVD Italien, copies plus ou moins complètes sur Youtube, etc) laissant sérieusement à désirer.

 

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Published by François Massarelli - dans Frank Borzage