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6 juin 2022 1 06 /06 /juin /2022 17:15

Juin 1944, d'un côté de la Manche, on se prépare à un débarquement imminent, pendant que de l'autre côté on redoute ce qu'on appelle une "invasion". Nous assistons aux préparatifs des forces Américaines et Britanniques, aidés par les français et soutenus par le travail sur place de la Résistance, pendant que les Allemands se divisent entre incrédules et réalistes...

Darryl F. Zanuck, ancien nabab de la Fox, est à la manoeuvre sur ce film qu'il a intégralement porté, allant jusqu'à en superviser personnellement la production sur place, et du même coup en assumer une part de la réalisation. On voit très vite qu'on est face à un objet cinématographique peu banal, un filmouth de guerre particulièrement spectaculaire, en même temps qu'un film visant à opérer deux travaux de première importance: d'une part, célébrer l'esprit de la libération, de la fin d'une guerre ressentie comme plus grave et plus douloureuse que les autres; d'autre part, filmer sur les lieux même de l'action tant que c'est encore possible, avec des lieux qui en 18 ans n'ont pas tant bougé que ça... Un double voeu louable, donc, qui nous incitera à passer sur les défauts évidents de la chose: d'une part, une structure entièrement centrée sur le débarquement comme étant le climax ultime du film, qui doit après les séquences d'Omaha Beach survivre pendant les 70 minutes qui restent!

Sinon, des petits soucis de continuité récurrents, et des incrustations défaillantes, viennent s'ajouter à la parade de stars: John Wayne, Henry Fonda, Robert Mitchum, Bourvil, Arletty, Richard Burton, et il y en a plein d'autres. Pourtant ça débouche sur une forte sympathie à l'égard des personnages, qui sont, compte tenu de la situation, vie en place et assez développés pour permettre un visionnage intéressant. 

Passons aussi sur l'impression très gaulienne que l'on soit face à des alliés valeureux, des français utiles, et bien sûr une population intégralement résistante. Peu de nazis parmi les allemands, il y a surtout des pragmatiques, dont Curd Jürgens qui montre tout son mépris à l'égard d'un chef oublieux qui demande depuis sa forteresse qu'on ne le dérange sous aucun prétexte: bref, pas d'idéologie, mais des faits. Ceux-là sont d'autant plus lisibles qu'on peut les voir situés dans les lieux même où ils se sont déroulés, d'Omaha Beach à Ste-Mère-Eglise, en passant par Ouistreham et son casino. Pour ajouter à cette impression de voir l'Histoire en marche (ce qui était clairement l'intention de Zanuck), quelques séquences utilisent des panoramiques impressionnants (Omaha Beach, avec la caméra qui suit la progression des soldats depuis la mer jusqu'à la ligne de défense Allemande), et des vues aériennes, dont une qui est une splendeur: motivée par le point de vue des aviateurs Allemands dégoûtés par leur hiérarchie qui font juste un passage histoire de dire qu'ils étaient là, elle offre une vue de la plage envahie de soldats alliés qui tentent de se protéger de l'attaque, et c'est impressionnant...

Reste deux commentaires qui sont souvent faits sur le film: d'un côté, c'est le produit d'une époque qui vit encore dans la suite des événements directs, une époque durant laquelle on ne questionnera pas la Résistance des français, mais une époque aussi durant laquelle on n'aurait jamais vu des salauds comme Eric Zemmour, Marine Le Pen ou Nicolas Dupont-Aignan sur tous les médias pour glaner les suffrages des électeurs. De l'autre, il est de bon ton de rigoler devant la vision du débarquement en le comparant à la version ultra-réaliste de Steve Spielberg réalisée pour le film Saving Private Ryan quelques décennies plus tard. C'est une erreur: les choix de Zanuck sont non seulement liés à des limites techniques (Spielberg bénéficie à cet égard des fruits d'une recherche très poussée, et de conditions tellement plus confortables qu'en 1962), mais aussi à des choix narratifs très précis: celui, en particulier, de fournir tous les points de vue, celui des alliés (comme le film de Spielberg) et celui des Allemands, ce que Private Ryan ne faisait pas du tout. On n'est pas dans la narration d'une guerre à travers chaque impact de balle, mais devant une tentative de recoller tous les morceaux d'une Histoire glorieuse, avant que le temps ne fasse un peu trop son oeuvre, tout en laissant libre cours à une évocation balisée des images d'Epinal: le soldat coincé sur un clocher à Ste-Mère-Eglise, les bottes à l'envers, Fernand Ledoux qui saute de joie à l'annonce du débarquement, malgré les bombes qui détruisent sa maison, ou encore le jeu autour des significations de messages radiophoniques ("Blesse mon coeur d'une langueur monotone"). Et puis, l'officier Allemand qui décide de regarder depuis son bunker dans ses jumelles, une dernière fois avant de passer à autre chose, et qui voit des milliers de bateaux.

 

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Published by François Massarelli - dans Filmouth John Wayne