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Premier film Paramount, première réalisation en solo, première réalisation aux Etats-Unis, première comédie à la Wilder, aussi. On lira de-ci, de-là, les commentateurs parler au sujet de ce film comme du "premier Wilder". Ce genre d'approximations est rendu inévitable. Surtout que The major and the minor est à la fois un film d'une immense signification, et un modeste (presque) début; vrai, cette gentille comédie avec ses airs de ne pas y toucher, semble déjà porter en elle les germes de ce que sera la carrière du grand metteur en scène, son oeuvre, ses personnages, ses dialogues... Ses gags allusifs et sa petite manie (délicieuse) de mélanger le grandiose et le trivial, le sublime et le vulgaire. Après tout, l'argument fera des petits: une jeune femme, Susan Applegate, lassée d'essayer de percer à New York, et fatiguée des avances de vieux cochons auxquels elle prodigue des massages du cuir chevelu, choisit de repartir vers son Iowa natal, mais son argent ne le lui permet pas; elle se fait donc passer pour une enfant de douze ans, Sousou, et à la faveur d'une poursuite dans le train, se réfugie dans le compartiment du major Philip Kirby, instructeur d'une académie militaire, dans laquelle elle va rester environ une semaine: elle y aura fort à faire, repoussant les avances de cadets tous plus entreprenants les uns que les autres, et réalisant qu'il lui faut empêcher le mariage de 'son' major avec une abominable pimbêche, Pamela Hill. Son passé revient toutefois la hanter, puisque c'est un des vieux dégoutants auxquels elle a refusé de céder qui la reconnaitra et le dira à Miss Hill, justement...
Au delà des recours Wilderiens au sous-entendu et de l'inévitable obsession sexuelle de 80% des males (le reste de l'oeuvre portera ce pourcentage à 99% mais ici les plus obsédés sont des adolescents en uniforme, qui utilisent tous le même vieux trucs, prétexte à quelques allusions verbales réjouissantes), le mensonge et la dissimulation, accompagnés d'occasionnels déguisements ou inversion de personnages, reviendront en force: Some like it hot, bien sur, mais aussi Kiss me stupid, The private life of Sherlock Holmes, The fortune cookie, Irma la douce, et dans un autre genre Witness for the prosecution!
D'autre part, le film est vraiment un conte de fée, baigné évidemment dans l'Amérique de 1942 (Parmi les signes extérieurs de culture populaire, on remarquera le gag des élèves de l'école voisine qui se prennent toutes pour Veronica Lake, la passion pour Benny Goodman d'un jeune cadet doué en claquettes...), avec sa Cendrillon à l'envers, son prince charmant, sa grenouille : un véritable petit caillou, isolé durant le film par une des bonnes fées, Lucy, la seule à connaître la vérité: à douze ans, et très précoce, elle est passionnée de science et a isolé un têtard à fins d'expérimentation. A la fin, le don de cette grenouille à Susan va permettre la rencontre du Major et de la vraie Susan. Et le film a bien sur sa méchante fée; cette tendance reviendra chez Wilder, lui inspirant d'authentiques contes (Sabrina) ou des histoires plus détournées (Irma), mais les mélangeant toujours au vulgaire avec méthode et délectation.
La méchante fée, c'est l'abominable fiancée, Pamela Hill, flanquée en guise de balise d'un tic verbal: elle passe son temps à dire l'adjectif "Beguiling". Une manie qui permettra à Susan-Sousou de l'imiter efficacement pour se faire passer pour elle et accélérer la promotion voulue par Kirby. Par ailleurs, pour une femme qui vit dans un contexte militaire, le nom de Hill, renvoie à une colline à prendre: entre miss Hill et sa carrière de soldat, Kirby doit choisir sa bataille. Si Kirby est un nom neutre et vaguement sympathique, Miss Applegate, qui habite à Stevenson, Iowa, renvoie à l'Amérique profonde, celle qu'on retrouvera des années plus tard à Climax, Nevada, ou dans l'Arizona de Ace in the hole. Bien sûr, Applegate renvoie aussi à cette si Américaine denrée qu'est la tarte aux pommes, même si Mrs Applegate vend... des fraises.
Ainsi, film-matrice plus marquant que le sympathique mais brouillon Mauvaise graine, The major and the minor est-il un digne début pour son metteur en scène; cependant, si on prend plaisir à la comédie, certains aspects restent encore embryonnaires. Ginger Rogers, déjà revenue de tout, peine à aller au-delà de l'amertume d'une vie déjà vécue. On aura plus tard, plus d'affection pour les personnages à venir, et cette grande andouille de Ray Milland est plus attachant, finalement. Mais quelle naïveté! L'histoire ne tient pas vraiment debout, au-delà de son charme et de sa joliesse... Un moment durant lequel le cinéaste, avec la complicité de son chef opérateur Leo Tover, met Susan en danger, puisqu'elle a décidé de dire la vérité à son major, et s'est habillée en femme, la voit déambuler dans les couloirs désert, et peu éclairés de l'académie militaire, et bien sûr au lieu de rendez-vous, le major est absent, et Miss Hill, qui a flairé le pot-aux-roses, l'attend. la gravité affleure, et la lutte entre les deux femmes reste courtoise, mais la photo louche vers le noir... Cet aspect marquera durablement l'oeuvre de Billy Wilder, les trois films suivants en fourniront l'essence: Five graves to cairo, Double indemnity, The lost week-end, trois films noirs, dont un joyau, permettront à Billy Wilder d'enfin donner à sa verve sa vraie couleur, et de signer, toujours avec son co-scénariste Charles Brackett, des comédies plus graves qu'il n'y parait. A foreign affair, avec Marlene Dietrich, sera une meilleure introduction à la comédie selon Wilder: drôle, toujours. Caustique, bien sur. Mais surtout noire, noire...