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9 septembre 2022 5 09 /09 /septembre /2022 15:07

Mia (Virginie Efira) est interprète, titulaire d’un diplôme de Russe, technicienne incontournable lors des échanges Franco-Russes à la Maison de la Radio. Sa relation avec son compagnon bat de l’aile, mais le savent-ils? Nous, nous nous en doutons: lors des premières scènes, nous voyions d’une part que le point de vue privilégié est celui de Mia, son ami restant plus ou moins à l’écart; et puis la façon dont la caméra se fige parfois sur des détails en apparence insignifiant, comme pour signaler que quelque chose se trame, nous donne en effet une indication…

Mia et son compagnon, justement, vont dans un café, mais il doit partir, une urgence. Sauf qu’elle, de son côté, va nous faire profiter de son évidente solitude, ce qui l’a poussée à se rendre, alors qu’il pleuvait, dans un café, pour attendre la fin de la pluie. Là encore, chaque détail semble nous donner un avertissement, quelque chose se prépare. Sans crier gare, alors que Mia ne sait pas trop quoi faire de sa peau, elle va entendre le premier coup de feu. La brasserie est le siège d’une attaque terroriste. Tout ce qui suit va s’effacer de la mémoire de l’héroïne, désormais considérée survivante, d’un blackout béant, et d’un certain nombre d’interrogations…

Le prologue mène le spectateur droit dans une scène dramatique, l'attentat vu à hauteur de victime, sans aucune visibilité réelle. Une scène à la puissance phénoménale, qui se situe juste avant le fameux black-out, dont il est question plus haut: c'est magistral...

D'emblée, le film se place dans une optique beaucoup plus large que celle d'une commémoration, d'une reconstitution des attentats du 13 novembre 2015, à Paris. Ce qui aurait été la manière Américaine, par exemple, aurait été de privilégier une reconstitution heure par heure, en multipliant les personnages et bien sûr les situations, d'autant qu'on sait bien que les attentats de ce jour ont été perpétrés dans plusieurs endroits, choisis pour leur importance culturelle. Donc en choisissant de nous montrer une expérience, et qui plus est celle de la femme qui a tout oublié, qui a bloqué son traumatisme dans sa mémoire, Alice Winocour a donc délibérément réduit le champ de son film et l'a placé dans la sphère privée... 

Je connaissais la réalisatrice en tant que co-scénariste du très beau film Mustang, de Deniz Gamze Ergüven, qui s'intéressait aux filles d'une famille Turque, saisies dans leur adolescence, entre permissivité à l'Européenne, et rigorisme sous influence patriarcale. Le point de vue privilégié est celui d'une femme, c'est incontestable, et le film va donc évoquer plusieurs points: affronter le traumatisme, d'abord, à travers la rencontre entre Mia, qui ne se rappelle plus, et Thomas (Benoît Magimel), qui était dans la même brasserie, et se souvient de tout. Il en est sorti estropié, et a perdu ses amis et collègues, qui fêtaient son anniversaire au moment de l'attaque. La rencontre des deux qui ne se connaissent pourtant pas, semble inéluctable, et nécessaire... Et c'est un échange: à Mia qui doit vouloir ouvrir la boîte de ses souvenirs parce qu'elle ne se rappelle plus, Thomas dit qu'elle a bien de la chance de ne pas se souvenir. Leur rapprochement va devenir un moyen pour eux d'affronter la suite.

Et Mia affronte aussi la réalisation du fait que sa vie a changé, elle a bifurqué... Professionnellement, sans doute. Personnellement et amoureusement, certainement. C'est le portrait d'une femme pour qui, aussi bien  symboliquement que concrètement, plus rien ne sera jamais comme avant. Le film va aussi nous montrer deux quêtes: d'une part, une femme, lors d'une réunion cathartique de victimes survivantes, au lieu de l'attentat, accuse Mia d'être celle qu'on a vue se réfugier aux toilettes, et s'enfermer, se sauvant ainsi et condamnent ceux qui la suppliaient de lui ouvrir. Mais Mia, bien qu'elle ne s'en rappelle pas, ne se reconnaît absolument pas dans cette anecdote.

Et d'autre part elle va finir par se rappeler de bribes de ce qu'elle a vécu durant l'attaque, en se cachant, ailleurs: une rencontre, avec un mystérieux homme, dont elle se rappelle qu'il avait un tatouage, et qu'il lui a pris la main pour l'aider à passer son angoisse... La quête de cet homme, un étranger, certainement un sans-papiers, devient centrale au film, au parcours commémoratif comme à l'expérience privée de Mia. Mais ce qu'elle voit nous renseigne aussi sur les autres, à commencer par Thomas, cette victime qui devient incapable de vivre avec ceux qui n'ont pas vécu ce drame.

De la sorte, tout ici est subordonné à cette expérience, à cette douleur, à la peur qu'on a vécue, à chaque détail, à chaque objet aussi. Aucun héroïsme exacerbé dans le film, aucune trompette, aucun véritable deuil non plus. Dans ce monde terrible, où pour chercher un homme qui a été tout simplement là pour vous, il faut se lancer dans un difficile parcours du combattant à travers les arcanes du travail clandestin, Alice Winocour nous montre aussi une France qui va bien mal... Si les deux quêtes trouveront une issue dans le film, le constat est amer. C'est donc un film fort, totalement de son époque, et qui sort complètement de ce qui serait attendu d'une oeuvre consacrée au terrorisme: c'est une excellente surprise, assurément!

 

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Published by François Massarelli - dans Alice Winocour Virginie Efira