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24 décembre 2022 6 24 /12 /décembre /2022 18:43

En 1916, Griffith a réalisé ce qui reste sans doute son film le plus important, le plus avant-gardiste et le plus beau, avec Intolerance. J'en ai déjà (longuement) parlé ici: 

http://allenjohn.over-blog.com/article-intolerance-david-wark-griffith-1916-68298447.html

...j'y faisais allusion aux circonstances qui ont amené le metteur en scène a prendre un film qu'il venait de terminer mais n'avait pas sorti, pour le gonfler artificiellement en une prouesse narrative et technique, réalisant ainsi un pamphlet géant (plus de trois heures pour certaines versions) autour de la notion d'intolérance. Mais si le film est resté célèbre pour son enchevêtrement de quatre intrigues, pour ses scènes historico-biblico-antiques (les murailles de Babylone! La nuit de la Saint-Barthélémy!) il était difficile d'oublier en le voyant, que tout était parti d'un autre film, ce The mother and the law, un long métrage qui en lui-même n'était certes pas aussi spectaculaire, mais contenait pourtant à lui seul suffisamment de frissons (dont une préparation d'exécution, un meurtre, diverses scènes de répression sociale, et une course contre la mort programmée d'un homme, excusez du peu) pour justifier de tenir debout tout seul sans l'ajout des épisodes tournés ultérieurement.

On pouvait croire, après tout que des quatre histoires saupoudrées dans Intolerance, deux en particulier pouvaient prétendre être considérées comme des films à part entière, les deux plus opposées... d'un côté, l'histoire vue par le petit bout de la lorgnette des fantasmes d'un réalisateur de films qui vient d découvrir la réinterprétation par le cinéma Italien de l'antiquité (The fall of Babylon), et de l'autre une chronique sociale qui s'attaque aux réformateurs qui maintiennent une population de la classe ouvrière dans un assujettissement coupable (The mother and the law)... On ne s'étonnera pas que pour récupérer un peu de bénéfices sur un film dont l'exploitation avait été coûteuse, le réalisateur ait pris la décision de sortir, justement, des versions remontées de ces deux histoires en deux films indépendants en 1919. J'ai parlé de The fall of Babylon ici: 

http://allenjohn.over-blog.com/2020/02/the-fall-of-babylon-david-wark-griffith-1916.html

Quant à The mother and the law, la grande surprise qui nous saisit quand on voit cette version remontée, c'est à quel point Griffith avait soigné son pamphlet contre les père- et mère-la-pudeur... L'intrigue reste la même (un jeune couple, qui s'est rencontré dans l'adversité suite à une répression des grèves dans une usine, se retrouve séparé: le jeune homme a été accusé à tort d'un crime, et la jeune femme a accouché d'un garçon qui lui a été enlevé par un comité de bienfaisance auto-proclamé), mais privé des histoires parallèles qui le sous-tendent, Griffith n'avait plus besoin d'élaguer dans la continuité.

En effet, l'une des forces d'Intolerance était de permettre à quatre intrigues de se chevaucher en donnant l'impression d'un zapping avant la lettre, le fait de passer d'une histoire à l'autre faisait qu'on abandonnait parfois les personnages à leur triste sort. Mais cette version de 99 minutes restitue à The Mother and the law sa continuité romanesque originale, avec l'évolution progressive de ses quatre personnages principaux, donnant un poids supplémentaire à l'unique scène durant laquelle ils sont tous réunis: je veux bien sûr parler de la séquence du meurtre. Le passage par la prison, pour le jeune homme interprété par Bobby Harron, va totalement dans le sens d'une dénonciation de l'intolérance par la vision de la crudité du système carcéral. Je ne sais si ces séquences ont toutes fait partie d'Intolerance à un moment ou un autre, mais elles sont d'une force rarement atteinte. Et le personnage de Miriam Cooper prend une dimension plus importante (ce dont il n'existe aucune raison de se plaindre) ainsi que le brave policier joué par ce bon vieux Tom Wilson: il devient un personnage secondaire à part entière au lieu de débarquer de nulle part à la fin du film...

Il y a quand même une scène de l'épisode Christique d'Intolerance qui figure dans ce film, celle de la femme adultère, mais c'est dans l'air du temps. Et Griffith n'a jamais caché ses intentions profondément ancrées dans la religion. Quoi qu'il en soit, on en a la preuve: Intolerance est certes fondée sur The mother and the law, mais The mother and the law, la version sortie en 1919, est un tout autre film, excitant, fort et d'une urgence formidable. Un chef d'oeuvre à part entière, qui existe indépendamment du chef d'oeuvre officiel.

 

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Published by François Massarelli - dans David Wark Griffith Muet 1916 **