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14 janvier 2023 6 14 /01 /janvier /2023 11:35

Le deuxième long métrage de Léa Mysius a eu un parcours difficile, pour cause de pandémie: entamé en 2020, puis stoppé, le tournage a fini par reprendre, et il a été présenté à Cannes en 2022... Où il a occasionné des sorties de salle, paraît-il nombreuses... Je ne le comprends pas vraiment, mais passons: un deuxième film de long métrage est souvent l'occasion de prendre des risques, voire de se vautrer dans les grandes largeurs, et des risques, Léa Mysius en a pris:

En Isère, dans une petite ville où on fête Noël, nous faisons la connaissance d'une famille; le père, Jimmy (Mustapha Mbengue), immigré d'origine Sénégalaise, est pompier; la mère, Joanne (Adèle Exarchopoulos), gymnaste et nageuse, est monitrice d'aqua-gym à la piscine des Cinq Diables; et Vicky (Sally Dramé), la fille, est... différente.

D'une part, avec sa différence, mais aussi une chevelure spectaculaire, elle attise la bêtise des autres enfants, qui la harcèlent et l'insultent. Mais elle a aussi  un pouvoir, un don olfactif, qui lui permet de détecter de façon remarquable n'importe quelle odeur, mais aussi la rend hyper-sensible... Et Vicky a aussi un amour immense et obsessionnel pour sa maman, qu'elle 'assiste' dans sa tâche en l'accompagnant à la piscine.

Il y a des ombres sur le passé des deux adultes, nous le comprendrons très vite même si le parti-pris des auteurs a été de diluer l'information, ce qui rend le film encore plus fascinant. Mais parmi ces ombres, l'une st encore très palpable: Nadine (Daphné Patakia), une jeune femme qui est ouvreuse à la piscine, a été brûlée sévèrement et en garde les séquelles... Dans quelles circonstances?

C'est dans ce contexte que Julia (Swala Emati), la jeune soeur de Jimmy, revient au village. Elle s'installe chez Jimmy et Joanne, et très vite, la situation vient dégénérer: les soucis, blessures et drames du passé resurgissent; la tension entre le village et la famille, mais aussi entre Julia et Joanne, et surtout entre Julia et Vicky, prend des proportions inquiétantes...

Le tournage a eu lieu dans un endroit formidable, la ville de Bourg D'Oisans en Isère, au bord d'un lac de barrage dont les eaux bleutées nous permettent de nous rendre compte de la cohérence esthétique du film: à une opposition que nous ne comprenons pas au début entre les deux parents de Vicky, léa Mysius ajoute une division des couleurs. Le lac, bleuté, met en valeur la vie de Joanne, qui tourne autour de l'eau et de ses dangers. Mais Jimmy, pompier, a pour sa part une scène qui le montre évoluant dans la caserne au milieu de rouges saturés. Le générique de début est par ailleurs la première mention d'un incendie passé, que nous comprendrons au fur et à mesure du film... 

Je parlais d'un don, d'un pouvoir concernant Vicky, mais elle en a plus d'un. Elle se livre à ce que, à défaut d'autre possibilité, je qualifierai maladroitement d'actes de sorcellerie, mais c'est certainement autre chose. De par sa science des odeurs, elles réussit à effectuer des mélanges savants, qui peuvent déclencher des effets... et découvre que l'un de ces mélanges la fait voyager dans le passé de ses parents, où elle va découvrir des choses, mais aussi soulever un paradoxe vertigineux: 

car si Julia, unanimement détestée dans le village (et au vu de son parcours, on le comprend un peu) est considérée comme folle, c'est qu'elle a vu, quand elle était adolescente, une petite fille qui la visitait, ce qui lui a fait perdre tout sens des réalités, et a probablement, par voie de conséquence, également précipité son alcoolisme, souvent souligné. La boucle est bouclée, puisque Vicky, en découvrant par hasard qu'elle voyage dans le passé, réalise bien vite qu'elle est cette petite fille... 

C'est l'une des grandes originalités d'un film qui fait semblant d'adopter un ton naturaliste, précis, froid, privilégiant un jeu tout en retenue avec quelques embardées de violence, pour mieux adopter et imposer un ton onirique, un fantastique original, et inventif, qui ménage ses effets et qui permet à Léa Mysius de faire ce qu'elle fait dans tous les films que j'ai vus d'elle: sonder la relation mystérieuse d'un enfant, d'une enfant plutôt (ou d'une adolescente, comme Noée Abita dans Ava), avec le monde, avec ses parents, et avec son éventuel avenir, que ce soit par la confrontation avec ses sentiments et la sexualité (L'île Jaune), un désir d'échapper au destin en se frottant à l'aventure (Ava) ou comme ici, la découverte des secrets troublants des adultes (Cadavre exquis). Une cinéaste qui donne de plus en plus envie qu'on la suive...

 

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Published by François Massarelli - dans Léa Mysius