Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
  • Contact

Recherche

Catégories

19 février 2023 7 19 /02 /février /2023 18:14

Que reste-t-il de Pierre Benoît, écrivain daté? On se rappelle à peine que cet auteur éminemment populaire, a symboliquement eu l'honneurs d'être le premier publié par la désormais mythique collection le Livre de Poche, avec justement, le roman Koenigsmark, qui portait sur la tranche, en bas, le numéro 1... 

En fait, c'est un peu comme Rafael Sabatini, ou Vicente Blasco Ibanez: ce qui reste de Pierre Benoît, eh bien, ce sont des films adaptés de son oeuvre, et fièrement ancrés dans le muet. L'Atlantide était, réalisé par Jacques Feyder, un film spectaculaire pour la cinématographie française en 1921... Koenigsmark, de son côté, a été réalisé par Léonce Perret, revenu en 1922 en France après un séjour de cinq années aux Etats-Unis. Mais jamais il n'avait bénéficié de tels moyens, et pour cause: la Paramount, peut-être intéressée de disposer d'une oeuvre ambitieuse d'un metteur en scène qui avait impressionné la profession, a copieusement aidé la production de ce film, en échange d'un contrat exclusif de distribution...

Dans le royaume de Mégranie, une guerre silencieuse de succession se prépare, avec ses alliances: on donne comme épouse à Rodolphe (Henry Houry), Grand Duc de Lautembourg (et principal héritier potentiel du trône) la princesse de Tumène, Aurore (Huguette Duflos), bien que celle-ci ne fasse pas mystère de sa désapprobation... Devenue Grande-Duchesse de Lautembourg, elle reste ferme sur son refus de considérer son mariage comme autre chose qu'un arrangement symbolique et se refuse à son mari. Celui-ci part pour une mission officielle au Cameroun, où il envisage de chasser. Son frère Frédéric (Georges Vaultieri) en profite pour fomenter un assassinat, le plan étant d'épouser ensuite la veuve de son frère (qui deviendrait en cas de disparition de son mari l'héritière du trône de Mégranie). Mais une fois le mari mort, Aurore ne veut pas entendre parler de remariage...

Pendant ce temps, un précepteur français est arrivé pour donner des leçons au jeune fils de Frédéric: Raoul Vignerte (Jacque-Catelain) est poète, mais il n'a pas beaucoup de succès, et a accepté ce poste prestigieux en attendant, d'autant qu'il lui permettra de mener dans la prestigieuse bibliothèque de Lautembourg des recherches sur un mystère vieux de plusieurs siècles. A peine aura-t-il rencontré Aurore, qu'il en tombera amoureux...

Quelle salade, croit-on pouvoir dire... Et pourtant le film est remarquable de lisibilité inattendue, devant ce foisonnement d'intrigues et de digressions; le scénario, auquel Perret a activement participé, lui a permis de poser dans une progression très rigoureuse, tout ce dont il avait besoin dans son film à la durée il est vrai imposante: 175 minutes...

Et on a rarement vu un film aussi fourni en péripéties, justement: des intrigues de couloir en veux-tu en voilà, des traîtres, des manipulateurs, des sbires, des espions, des espionnes, un soupçon marqué d'une sous-intrigue secrète avec une dame de compagnie dont l'amour pour son amie d'enfance, amour déçu bien entendu, la poussera à commettre une odieuse trahison, et un professeur solitaire qui mène une enquête pour résoudre une énigme vieille de 250 ans, mais se retrouve sans logique apparente devant un cadavre, dans un passage secret en pleine nuit et enfin un incendie, sans parler du déclenchement de la première guerre mondiale! C'est dire si ce film est riche. Mais je le répète, rien ici n'échappe à la lisibilité... Tout y est balisé, richement, et la prouesse est que les coutures ne se voient pas. Perret y utilise avec bonheur les signes et les détails qui dressent pour le spectateur un parcours logique: le livre historique que prépare Vignerte va le confronter logiquement à un cadavre, prouvant par un ensemble de détails l'assassinat du Grand Duc Rodolphe; un dessin, décalqué par le fils de Frédéric, va permettre par un enchaînement de circonstances, de découvrir l'un des modes opératoires du crime. Cette succession de moments signifiants, enchaînés avec adresse, m'autorisent à penser qu'avec ce film, Perret s'est hissé au niveau d'un Stroheim... Et un Erich Von Stroheim qui cette fois-ci aurait réussi à rester le maître sur son film!

L'interprétation, confiée (cinéma français oblige) à de solides acteurs plus qu'à des stars, est largement fonctionnelle, et permet à Perret de passer de l'aventure pure, à une certaine ironie, à des notations flamboyantes de patriotisme digne (la guerre était encore dans tous les esprits). Certes, Jacque Catelain, et Ivan Petrovitch qui joue ici un second rôle un peu à la Rupert Von Hentzau, ne sont pas Ivan Mosjoukine. Mais ils rendent justice à leurs personnages, et servent parfaitement le dessein du film... On regrettera que les personnages qui auraient pu être les plus intéressants soient un peu escamotés par l'intrigue: Raoul et son amour pour rien, et la trouble Mélusine dont la passion tangible pour son amie reste passée sous silence. Par contre le traitement de l'image, par un réalisateur qui dès 1912 avait tout compris de l'utilisation de la lumière, et possédait un  savoir-faire des plus accomplis parmi les cinéastes Européens, est particulièrement réjouissant? Certes, le film a coûté cher, et ça se voit! ...mais il a aussi copieusement rapporté, et de façon méritée. Car ce Koenigsmark, bien plus que le torturé L'atlantide de Feyder, est du plaisir pur, de chaque instant, qui vous tient en haleine, et qui démontre à qui en douterait encore le pouvoir vénéneux du cinéma...

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Léonce Perret Muet 1923