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16 février 2023 4 16 /02 /février /2023 18:05

Tourné en octobre 1912 sur un scénario qui n’a une fois de plus pas peur d’entremêler savamment les histoires et les personnages, The musketeers of Pig Alley est un grand film... Un jeune couple, un musicien (Walter Miller) et sa femme (Lillian Gish), vivent dans des conditions précaires à Manhattan, dans un immeuble fréquenté par une bande de malfrats dirigés par Elmer Booth et Harry Carey. Le musicien s’en va pour faire fortune, et lorsqu’il revient, il est agressé et volé. Il part à la recherche de la bourse d’argent qu’on lui a subtilisée, et pendant ce temps, son épouse un peu frivole va se laisser plus ou moins draguer par un malfrat d’une bande rivale (Alfred Paget). C’est le gangster joué par Booth qui va sortir la jeune femme des griffes du dragueur, et cet événement va entraîner une guerre des gangs, dont Booth et ses amis vont sortir vainqueurs. A la fin, le musicien profite de la confusion pour reprendre son argent, et le jeune couple fournit un alibi au gangster.

Bien que l’histoire soit accomplie, que tout soit en place et que dans l’ensemble tout soit rentré dans l’ordre (le gangster a procédé à un massacre, mais il a un code: il aurait pu tenter de séduire la femme du musicien, mais ne l’a pas fait, même s’il désapprouve du choix douteux qu’elle a fait. C'est un homme qui possède une morale!), le dernier plan est fascinant, et riche en mystère et en confusion: alors que le policier qui voulait l’arrêter laisse Booth seul dans la cage d’escalier de l’immeuble, une main apparaît à droite, avec des billets de banque. Quelqu’un confie donc cet argent avec pour mission (la main esquisse un geste très clair en ce sens) de le donner ensuite au policier. Le fondu final laisse le spectateur sur ce mystère. Une manière de déplacer le point de vue sur ce qui reste un film vaguement immoral (les héros se comportent tous en dehors de la loi) vers un faux commentaire vaguement critique? une façon d'ouvrir sur la vraisemblance d’une histoire dans laquelle on peut voir l’influence d’une mafia? Un commentaire critique, voire franchement satirique sur la corruption de la police New Yorkaise?

Le manque de solution est finalement la meilleure façon de laisser le spectateur en chercher une. Du reste, la réaction de Booth est géniale: il se gratte la tête, à la fois surpris et très amusé par l’offrande qu’on lui demande de faire passer…

Le génie de ce film ambigu est dans sa mise en scène, dans sa complexité qui n’est pas même un obstacle à sa réussite. Si le tournage en pleine rue est souvent évoqué, c’est malgré tout une figuration et un sens de la composition qui doivent plus à Griffith qu’aux passants qu’on voit ici à l’œuvre. On peut penser aussi à Feuillade: ces beuglants New-Yorkais infestés de gangsters interlopes (Carey, au maquillage charbonneux et à la casquette blanche est tout droit sorti d’un Fantomas) trouveront une rime avec les bars d’apaches dans lesquels s’ébattront Musidora et sa clique dans Les vampires quatre ans plus tard. Et puis, il y a la guerre des gangs, annoncée par une suite de plans splendides: en terrain neutre (une salle de danse) les gangs se jaugent, mais ne vont pas plus loin. Chaque gang suit son leader et sort, lentement, prenant le temps d’occuper l’espace. Un plan commence par la description des «activités» de la bande de Booth dans son quartier général : un terrain vague entre deux maisons, puis ils sortent du champ par la droite ; à ce moment précis, l’autre bande intervient et les gangsters s’installent derrière des tonneaux (Fantomas, encore !) et autres objets : un seul plan pour unifier les deux gangs dans la lutte est une lutte pour le territoire… Un autre plan voit Booth et ses sbires arriver, et Booth, en longeant un mur situé à droite de la caméra, s’approche de celle-ci autant qu'il soit possible de le faire, toujours sur la droite, jusqu’à ce que son visage, et ses yeux parfaitement expressifs, emplissent un bon quart du cadre. Derrière lui, les seconds couteaux menés par Carey ne font pas tapisserie pour autant. Plan sublime, qui en dit long sur le fait que ces gars-là ne rigolent pas: la tuerie qui s’ensuit en témoigne.

Un regret? Oui, bien sûr : comme d’habitude jusqu’ici, le rôle dévolu à Lillian Gish laisse encore à désirer: c’est pour l’instant une ravissante idiote, une délurée prête à tromper son mari (Un violoniste: c’est-à-dire un nigaud ou un poète, ou les deux…). Griffith se rattrapera, Lillian aussi… Elle a droit, par contre, a un petit truc rigolo : lorsque son mari se fait attaquer dans le hall d’entrée de l’immeuble, elle l’entend, et va voir ce qu’il se passe. Un plan sonore, donc, avec une réaction parfaitement équilibrée : pas de regard caméra, de main utilisée en écouteur, ni d’intertitre «Ah ça ! Que se passe-t-il?». Ca rattrape un peu, déjà.

 

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Published by François Massarelli - dans David Wark Griffith Muet Lillian Gish