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23 août 2023 3 23 /08 /août /2023 09:17

Un café à Marseille: c'est un établissement "Franco-Anglais" pour marins, de tous les pays, et certains (notamment Walter Long) font bien du chahut...La patronne (Norma Talmadge), une dame d'un certain âge, se plaint immédiatement. Elle discute avec un client (Marc McDermott), Anglais comme elle, et ils comparent leurs souvenirs... Ce qui renvoie à sa jeunesse: elle était danseuse dans un choeur au music-hall, et elle a tant aimé un homme (Wallace McDonald) qu'elle l'a épousé. seulement la belle famille ne l'entendait pas de cette oreille, et après un temps il a fini par l'abandonner... Evidemment, comme dans tout mélodrame qui se respecte, une fois la chose accomplie, les conséquences ne tardent pas...

C'est un film qui se présente parfois comme une synthèse, à la fois du style et de l'univers de Frank Borzage, des films de Norma Talmadge et de la niblesse délirante du mélodrame muet à l'apogée du cinéma Américain... Certes, le film accumule les péripéties, les invraisemblances, mais il le fait avec une conviction et une subtilité qui sont rarement aussi bien mariées que dans les films de l'auteur... Norma Talmadge y trouve un rôle à la mesure de son talent, qui devait des fois être contre-balancé par une direction tatillonne, et comme on sait que Borzage réussissait à se faire entendre y compris des pires histrions, le résultat est là, indéniable: elle est fantastique... D'autres acteurs tirent leur épingle du jeu, Marc McDermott et une de ces apparitions limitées, auxquelles il était confiné dans les années 20, par exemple: pour une fois il ne joue pas le mauvais rôle et ne meurt pas après deux minutes de présence à l'écran! Brandon Hurst est le père du mari, celui qui va ensuite venir réclamer pour la famille, le rejeton né des amours de l'héroïne... 

Borzage reconstruit pour son film, avec la complicité d'Antonio Gaudio (chef-opérateur) et de William Cameron Menzies (Décors) un univers dans lequel on passera des théâtres miteux à Monte-Carlo, puis d'autres théâtres avant d'échouer dans un bouge à Marseille, autant de décors où le drame s'épanouit en prenant son temps. L'effort sur les costumes est important, à une époque qui ne s'embarrasse généralement pas de réalisme, Borzage et son film font clairement exception. Le personnage de "Lady" Polly Pearl, qui est celui dont tout le film nous détaille le point de vue, fera quelques rencontres déterminantes, dont celle, providentielle, de l'épouse d'un pasteur, qui va adopter son fils avant qu'il ne soit volé par sa belle-famille. Une fois de plus, le héros/l'héroïne d'un film de Frank Borzage est aidé, et sa quête sublimée par l'intervention d'une bonne fée, comme dans Cendrillon... On ne se refait pas. 

Il s'agit maintenant de lire entre les lignes. S'il était courant pour la haute noblesse Britannique des années 10 et 20 de considérer une actrice comme l'égale d'une prostituée, il n'empêche qu'une fois son parours en tant que danseuse et son mariage laissés derrière elle, Polly doit assumer de devenir une chanteuse de cabaret voire une tenancière... On saura décoder ce qui nous est dit de son destin, notamment par l'une des premières remarques, celle d'un client du bar dans la première scène, qui ironise en entendant Polly se considérer comme une "lady"... Mais justement, ce que le film détaille, ici, c'est la force de conviction d'une femme intransigeante dans son amour pour son fils, qui va sacrifier son amour afin de lui éviter de tomber entre de mauvaises mains. Ce que prouve la scène finale, du plus haut mélodrame (celui qui use et abuse des conïncidences), c'est qu'elle a eu raison...

L'ensemble du film tient grâce à un enjeu, celui d'affirmer la noblesse du coeur de l'héroïne par-dessus les conventions de la société des deux époques qui nous sont présentées. Cette quête passe par une descente aux enfers, symbolisée (telle celle vécue par les personnages de Street angel, quatre ans plus tard) par les déambulations de Polly, devenue vendeuse de fleurs (là encore la métaphore est assez claire) dans la rue, et qui arrête tous les enfants qui passe à sa portée pour leur demander leur nom... 

La dernière scène est bien sûr le paroxysme du film, et tout y est accroché aux yeux de Norma Talmadge, qui font passer tant d'émotion avec tant de force qu'on ne peut que rendre les armes: certes, c'est du mlo, certes, probablement basé sur une pièce de théâtre que personne ne tenterait en 2023 de sortir de la naphtaline... Mais honnêtement, c'est une réussite émotionnelle rare.

 

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Published by François Massarelli - dans Frank Borzage 1924 Muet