/image%2F0994617%2F20230928%2Fob_edac57_zi7emyhtnlbsgyz2ndof-llhltm-1000x419.jpg)
Emma (Ana Girardot), une autrice en mal de projet, a un jour une idée plus que saugrenue: infiltrer une maison 'close", à Berlin, où elle sera à l'aise pour observer et retracer l'expérience des femmes qui y travaillent... Mais pour cette infiltraton elle aura besoin de devenir elle-même une prostituée. Son environnement (un amant, lui-même écrivain, qui désapprouve, une soeur scandalisée par l'approche sans aucune précaution de sa soeur qui présente l'expérience comme un prolongement de sa propre sexualité, ou encore un nouveau petit ami qui doit appréhender tous les aspects de ce qui lui annonce Emma) est hostile à l'idée, mais elle est est sûre de pouvoir le faire sans aucun problème...
Et très vite, les clients se succèdent, les "copines" (Aure Atika, Rossy de Palma)sont solidaires, sauf une, et personne ne semble deviner le pot-aux-roses, ni pourquoi Emma (rebaptisée "Justine" garde toujours sur elle un carnet sur lequel elle prend des notes...
C'est une expérience filmique à laquelle nous assistons, en même temps qu'une expérience de vie qui nous est contée (le film adapte le récit dense d'une journaliste, Emma Becker); une expérience qui n'est sans doute éloignée ni de Shortbus, ni de L'empire des sens, même si la finalité est différente de celle des deux films. Car Shortbus installait une sorte de comédie humaine dans laquelle la sexualité de chacun des acteurs et actrices était le sujet même de la matyière filmique comme du film; L'empire des sens racontait la paradoxale prise de pouvoir en douceur (si j'ose dire, en douceur puisque acceptée de bonne grâce par les deux protagonistes) d'une femme sur un couple, à travers l'expérience du sexe. Ces deux films avaient donc besoin entièrement de fairepasser la narration par une représentation totale et sans aucun artifices de la sexualité.
Mais le sujet de celui-ci est un peu différent, malgré tout. Il s'agit d'une radiographie sans aucun misérabilisme de la prostitution, prise comme un univers à part entière. Un univers dans lequel Emma va vite découvrir une camaraderie de tous les instants, la plupart des femmes se protégeant les unes les autres... Même celle qui soupçonne (d'ailleurs à raison) Emma-Justine de ne pas totalement dire la vérité à ses copines. Les clients, dans leur vaste majorité, sont de braves types de passage, saisis dans leurs fantasmes intimes.... Sauf que certains ne jouent pas le jeu et que la tentation du viol et de la transgression au-delà d'une situation déjà permissive (un client décide de forcer Emma à consommer de la cocaïne et la frappe pour qu'elle s'excute, contre le règlement de la maison), ce qui semble démontrer que même das ce qui nous est parfois présenté comme un environnement sous contrôle, le risque viendra évidemment des hommes...
Le choix d'Annissa Bonnefont a été, contrairement aux deux films de Cécile Ducrocq avec Laure Calamy en prostituée (La contre-allée et Une femme du monde) qui prenaient une distance avec les actes sexuels en installant un paramètre de sécurité qui favorisaient la simulation, de plonger en plein coeur de l'action, si j'ose dire. La nudité est plus qu'abondante, et la représentation des actes sexuels (et de l'amour, parfois, car il est aussi présent) est beaucoup plus crue, sans jamais être totalement visible, ou pire, totalement et crûment anatomique. On sent bien qu'il y a une forte différence entr ce film et un porno... Et si l'équipe n'hésite pas devant la représentation celle-ci est assumée, avec un côté "technique" à chaque geste, qui est soulignée. "Ceci est notre métier", semblent nous dire les femmes rassemblées dans cette maison, une approche à la Howard Hawks, qui aimait tant le professionnalisme à l'écran (et au passage, Hawks qui du début à la fin de son film Red River, nous promettait comme ici une confrontation sordide entre deux personnages, qui jamais n'arrivait, je ne sais pas si c'est une coïncidence ou un clin d'oeil).
Mais si le débat sur le male gaze (le regard de l'homme sur la sexualité, orienté vers la vision des femmes dans leur nudité et leur sensualité) est possible avec le film qui après tout, nous fournit beaucoup d'images qui peuvent s'avérer sensuelles (un spectateur qui critique le film, raconte avoir vu beaucoup de "vieux cochons" en imperméable dans la salle! ...en même temps, il pleuvait ce jour-là, dit-il), on a quand même l'impression que le grand sujet du film, c'est la découverte d'un univers féminin, d'entraide, de sororité, qui rend ainsi possible sans qu'elle dévie vers le salace ou la concupiscence cette expérience inattendue, dont on doit dire que quand la voix d'Ana Girardot nous dit que c'est sans doute "la pire connerie" qu'elle ait faite de sa vie, on la croit sur parole. Pour tout dire, on l'avait même anticipé...