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Bien que le copyright du film indique la date de 1920, le film est sorti à l'automne de 1921, alors que le cinéma Danois se remettait encore avec difficulté de la mort de Valdemar Psilander (que Sandberg avait dirigé en 1917 dans son film Klovnen peu de temps avant son décès prématuré)... C'est donc Gunnar Tolnaes, qui avait plus ou moins pris la place de la star disparue, qui interprète le rôle principal aux côtés de l'acteur Philip Bech, et de Kate Riise. Cette dernière, qui incarne une artiste de music-hall, avait exigé d'apparaître sous un nom d'emprunt, car le rôle exigeait d'elle des scènes en petite tenue (en l'occurrence un justeaucorps et des collants pour les scènes situées dans les coulisses, des vêtements jugés trop suggestifs par l'actrice)...
Le titre, qui signifie "Les yeux peuvent-ils mentir?", trouve dès l'ouverture, un écho: en effet le film commence par un plan très clair, celui des yeux d'une jeune femme aux cheveux blonds, qui nous regardent de façon très aguichante... Une façon comme une autre de placer le sujet de ce mélodrame: Egil, un riche héritier (Tolnaes) est amoureux d'une artiste (Riise), et la séduit. Ils veulent se marier mais la famille n'a pas confiance en elle. Alors que le mariage se profile à l'horizon, la jeune femme disparaît. Quand elle revient, elle apprend à son fiancé qu'elle est mariée, et qu'elle a fui son mari violent, le comte Mirko. Mais elle est bien vite accusée d'avoir tué son mari...
Un (mélo) drame dans la noblesse, des traditions bousculées, des codes amoureux dictés par les conventions, un mariage en dépit de la désapprobation des parents, une figure féminine sur lequel le doute (celui des protagonistes aussi bien que celui des spectateurs) plane avec insistance, des personnages mystérieux, une mort suspecte, et enfin des secrets compliqués voire inavouables... On est en plein mélodrame établi, étanche et à l'épreuve des balles. Mais Sandberg démontre une fois de plus son métier et sa filiation avec les grands noms du cinéma Danois des années 10, Blom, Holger-Madsen, Gad et Christensen en tête: son utilisation des lumières et de l'ombre, sa scénographie des intérieurs bourgeois (particulièrement luxueux), le jeu souvent très retenu des acteurs, tout fonctionne très bien. Le cinéaste prend un certain plaisir à détailler à travers tous les univers aperçu (les coulisses d'un théâtre fréquentés par les héritiers en haut-de-forme qui viennent fréquenter les danseuses, un salon austère dans lequel la famille tient conseil, des galeries imposantes de manoirs tout aussi peu discrets...) tout le luxe mais aussi la vanité d'un monde qui semble bien loin de ce que devait être le quotidien des gens qui fréquentaient les salles de cinéma à l'époque. Car cet art consommé du mélodrame est un art populaire par définition, qui se doit de raconter et d'aller d'un point A à un point Z...
Le film fait la part belle aux gros plans dynamiques, pas de décrochage idéaliste à la façon d'un Griffith: chaque plan a une fonction rigoureuse dans la continuité... Et cette histoire certes un rien éventée plus d'un siècle plus tard se déroule tranquillement sous nos yeux, dans un style qui ne fait certes pas de vagues, mais donc l'eficacité n'est plus à démontrer... C'est un film qui ressemble beaucoup, donc, à ceux que Sandberg allait réaliser durant toute la décennie, et Sandberg aime à questionner les apparences dans une narration certes sage, et dans laquelle à la fin, tout conduit au bonheur de ces nobliaux d'un autre âge...
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Le film, comme tant d'autres de son auteur, est disponible sur le site de plus en plus fourni du Danske Filminstitut, mais comme pour la plupart des oeuvres disponibles, ce sera avec des intertitres danois sans traduction...
https://www.stumfilm.dk/stumfilm/streaming/film/kan-disse-ojne-lyve