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12 janvier 2025 7 12 /01 /janvier /2025 13:32

Le premier long métrage de Pedro Almodovar en anglais, ce film s'intéresse à deux femmes, deux amies qui se retrouvent: Ingrid (Julianne Moore) est une autrice à succès qui apprend la maladie de Martha (Tilda Swinton), une reporter de guerre qui est atteinte d'un cancer intraitable. Elle la contacte et les deux amies renouent. Bien qu'Ingrid ait un complexe phénoménal, une peur de la mort irrémédiable, elle accepte la demande de Martha, qui souhaite choisir le moment de sa mort, et a besoin d'une personne de confiance pour vivre ses derniers jours...

Le thème de l'euthanasie n'est pas à proprement parler le principal motif du film, qui l'utilise comme un fil rouge, mais aussi pour fournir un élément dramatique: en achetant une pilule de suicide sur le dark web, Martha a enfreint la loi, il faudra donc à l'enquêteur principal (un fondamentaliste, ce qui est bien pratique!) déterminer si Ingrid a trempé dans l'affaire en sachant ou non, que son amie souhaitait mettre fin à ses jours. Mais cette approche et ce choix philosophique de la mort permet à Almodovar de renouveler une thématique riche, qui lui a permis déjà nombre de films importants: la mort, programmée ou non, annoncée ou simplement vécue, un long processus ou un simple passage, de la mort naturelle au meurtre, est omniprésente dans son oeuvre. Plus encore d'ailleurs, depuis que le réalisateur-auteur a pris de l'âge...

En choisissant ses personnages, il s'est aussi permis de retrouver des motifs très présents dans son oeuvre, depuis la présence de deux femmes créatives (et d'un troisième personnage, interprété par John Turturro, un ancien amant des deux femmes), et amoureuses des lettres. On est en territoire familier, mais chez Almodovar (contrairement à 151% des films français), ce n'est jamais un simple aspect esthétique ("attends, on va te filmer devant la bibliothèque, avec un ou deux livres de la collection blanche de la NRF dans le champ"). Les deux personnages ont fait se confondre leur art et leur vie, et d'ailleurs on sent que si Martha décide de se tuer, c'est parce qu'elle n'arrive plus ni à lire, ni à écrire. Et Ingrid a la tentation costante d'écrire...

Ces deux personnages, deux femmes dont une à son crépuscule, rejoignent donc sans révolution esthétique majeure une galerie chatoyante d'êtres humains, qui tous renvoient donc à la curiosité ou la peur de vieillir, l'approche de la mort, la nécessité de la sensualité (on ne saura pas si les deux femmes auront des relations charnelles, le metteur en scène en ayant juste posé la possibilité dans le film à travers une jolie scène qui marche aussi bien pour l'hypothèse de leur amitié), mais aussi la question existentielle de la filiation: Martha a une fille, qu'elle a conçue par hasard à la fin de son adolescence, avec Fred (Alex Hogh Andersen), un garçon qu'elle tentait de consoler de s'être complètement abimé la tête au Vietnam...

Mort depuis (dans une anecdote troublante qui nous est montrée dans un flash-back, avec une allusion au tableau de Wyeth, Christina's world, dont on sait aujourd'hui que le modèle souffrait de la maladie de Charcot), la question du père est au coeur de la "rupture" entre mère et fille... Michelle, la fille de Martha, est interprétée elle aussi par Tilda Swinton. Cette filiation est une fois de plus une obsession du réalisateur, qui en a fait de bien des façons le coeur de tant de ses films.

Mais ici, cette filiation est bien plus vécue par une tierce personne, en l'occurrence Ingrid, qui est sans doute par bien des côtés plus le personnage principal que Martha. A travers son point de vue, nous affrontons sa propre peur de la mort, à laquelle elle va devoir faire face dans une expérience terrifiante d'accompagnement affectif... la petite vie tranquille menée par les deux femmes du côté de Woodstock, devient pour elle un champ de bataille. La présence à l'inérieur du film de Michelle, la fille qui arrive trop tard pour renouer avec sa mère, clôt presque en douceur un cycle baroque de sa vie. Un cycle baroque symbolisé par la mise en scène permanente (maquillage, choix des vêtements) de Martha. On se doutait au vu du petit film sans conséquence tourné en 2020 par Almodovar (La voix humaine) avec elle, que Tilda Swinton avait tout d'une grande actrice d'Almodovar... C'est donc confirmé.

Reste la curiosité, pour ne pas dire l'éléphant dans la pièce: il faudra sans doute à Almodovar de retenter l'expérience d'un film en Anglais pour convaincre totalement à ce niveau. J'ai quelques doutes sur la partie légale (les lois de l'état de New York sont-elles aussi drastiques, ou s'agit-il simplement de l'obsession d'un enquêteur zélé? En tout cas cette partie est peu probante), et quelque embarras devant le nombre de protagonistes secondaires qui ont un accent Espagnol ou Hispanique... Mais pour le reste, en Espagnol, Français, sanskrit ou Anglais, un film d'Almodovar reste de toute façon un film d'Almodovar...

 

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Published by François Massarelli - dans Pedro Almodovar