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21 avril 2025 1 21 /04 /avril /2025 09:21

Rêver, en film... Bon, ce n'est en aucun cas nouveau: les exemples sont nombreux, de Sherlock Jr à Brazil en passant par Ouvre les yeux, Rêves, et bien sûr tous les films qui sont bâtis sur une illusion imposée au spectateur ("Oh, alors c'était un rêve? Ca alors!"). Je mets de côté, volontairement, les films de Michel Gondry (Eternal sunshine of the spotless mind, La science des rêves), pour une raison que je garde pour plus tard, et les films de David Lynch parce que chez lui les rêves ne sont jamais une astuce de scénario, mais la matière première même de ses oeuvres...

Ce film est entièrement bâti sur une idée étrange, et particulièrement contraignante: dans un monde qui ressemble fort au notre (non, je n'écrirai pas "un futur proche". C'est quoi, cette obsession de refuser que la science-fiction puisse être contemporaine? Mais passons), des chercheurs et psychologues ont développé une méthode de partage de rêves, qui permet à une équipe de s'introduire dans le rêve d'une personne durant son sommeil, et d'y recueillir des informations. Cobb (Leonardo DiCaprio) est l'un des meilleurs truands/espions qui ont réussi à s'approprier cette méthode pour en faire un business, les informations qu'on cherche à extraire d'une victime désignée étant le plus souvent des secrets économiques ou des éléments liés au business ultra-sécurisé...

Le rôle d'extracteur doit se faire en équipe, afin de garanir de garder un minimum de contrôle sur l'univers des rêves ainsi provoqué: l'architecte est la personne qui génère l'environnement dans lequel le rêve est sensé se dérouler; d'autres personnes vont agir sur les personnages, et "incarner" ceux qui permettront au rêveur de croire en la réalité de ce qu'il ou elle expérimente. Enfin, les rêveurs doivent être monitorés afin de permettre un retour en cas de problème... 

Pour bien comprendre tout ce qui précède, je pense qu'il s'agit tout simplement de retourner au film The prestige: tout numér d'illusionnisme doit se doter de règles, d'un contexte qui sont autant de poudre aux yeux d'un côté, de distractions pour le spectateur de l'autre. Parce qu'Inception, comme The Prestige, n'est rien d'autre qu'un film d'illusionniste, qui est lui-même, par définition, une illusion. Les règles sont donc là pour donner au spectateur l'illusion de la logique, en sachant qu'on va le mettre à rude épreuve: à chaque fois qu'on pourra, on lui explique que les personnages rêvent, bien sûr, et qu'ils iront, pour parvenir à leurs fins, jusqu'à rêver qu'ils rêvent, voire à rêver qu'ils rêvent, qu'ils rêvent.

Dans ces conditions, tout est permis, et c'est là la limite du film, à mon humble avis. Car en imaginant un personnage (DiCaprio ne peut pas incarner quelqu'un qui n'est pas miné par des failles qui vont lui mener la peau dure, que voulez-vous) qui est lui-même passé par tous les stades du rêve au point d'y avoir perdu son épouse (Marion Cotillard), Nolan brouille un peu plus, un peu trop, les pistes. Cette irruption, le plus souvent avec son "air renfrogné numéro 12", de Marion Cotillard, ni moins bonne ni meilleure que d'habitude, c'est à dire assez atroce, devient l'inévitable obstacle, dans chaque rêve, et ça fatigue. 

Non, ce qui tient la route dans cet étrange film, c'est la faculté qu'a un cinéaste d'oser faire un film, encoreune fois, à partir de l'ultime objet du cinéma, qui est son ultime principe fondateur: la manipulation, la mise en scène, l'illusionnisme. Donc le film fonctionne clairement, avec ses incroyables moyens techniques, comme un compagnon valable, mais parfois un rien irritant, à The Prestige... Et par endroits, la poésie pure du cinéma vient prendre toute la place: la plus belle scène de ce film reste le moment où Cobb qui s'apprête à engager Ariadne (Elliot Page) comme architecte, lui fait comprendre par des visions extraordinaires qu'ils dorment tous deux, et que leur conversation est en fait purement effectuée dans le cadre d'un rêve partagé, est magique: la façon dont Ariadne fait ensuite ployer l'environnement, la ville se refermant sur eux, vient en droite ligne de Phantom (1922), de Murnau, un film qui d'une façon fort différente, explorait le subconscient. On pourrait citer de nombreuses autres scènes, dont ce moment qui renvoie cette fois à Ouvre les yeux (ou si vous avez envie de fouiller les poubelles, à son remake plan plan Vanilla Sky): toute l'équipe devisant dans le calme sur l'un des boulevards les plus passants de Los Angeles, où aucun véhicule ne vient troubler leur conversation...

Et pourtant pour tous les rêves les plus délirants, les plus élaborés, avec ou sans effets spéciaux, pour toute la poésie de ces mondes parallèles, le film ne parle finalement que de l'humain, de ses failles, de ses doutes et de ses frustrations: l'extracteur virtuose, qui vit boursouflé de regrets (pourquoi croyez-vous que la chanson par défaut qui permet aux "extracteurs" de reprendre pied dans la réalité est Je ne regrette rien?) au point de les laisser envahir ses rêves, le jeune héritier (Cillian Murphy) d'un empire d'affaires qui a toujours souffert de l'indifférence de son père qui vient juste de mourir... Tous les personnages ont choisi d'évoluer dans le milieu, les rêves, qui expose justement toutes leurs failles... Ces failles ce sont celles de l'humain, comme la peur (Dunkirk), comme l'ambition ou l'ego d'un prestidigitateur (The Prestige), ou la tentation de vengeance au-dela du raisonnable (Memento), ou bien sûr le doute pur (Oppenheimer).

Mais voilà: parmi les détails de trop, il y a cette utilisation horripilante des sourcils froncés de Marion Cotillard, dont je parlais plus haut, et cette obsession de vouloir perdre le spectateur: point trop n'en faut, c'est cette tendance à vouloir constamment prendre le dessus sur celui qui regarde le film qui restera toujours un peu irritante dans le film. C'est la raison pour laquelle je pense qu'en matière de film consacré au pouvoir du rêve et au pouvoir de l'humain sur le rêve, Eternal sunshine of the spotless mind reste le chef d'oeuvre indépassable, dont la poésie vénéneuse va tellement plus loin que ces constructions impressionnantes mais souvent trop flamboyantes. Pas ce film, qui possède d'immenses qualités, certes, mais à trop vouloir faire le malin, on perd son public...

 

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Published by François Massarelli - dans Science-fiction Christopher Nolan