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Le cinquième long métrage de Christopher Nolan est l'histoire de deux obsessions, apparemment similaires, mais pas vraiment: deux artistes qui se sont formés ensemble, en tant qu'assistants d'un prestidigitateur, tentent de créer le numéro ultime, tout en essayant de percer le secret de l'autre... Mais à l'origine de cette double quête obsessionnelle, une mort, celle de l'épouse de Robert Angier (Hugh Jackman): lors d'un numéro de leur employeur, Angier estime que c'est Alfred Borden (Christian Bale), avec ses noeuds très élaborés, qui a été responsable du ratage du dispositif grâce auquel la jeune femme pouvait se sortir de l'aquarium dans lequel elle finissait le numéro. Depuis ce jour, les deux aspirants magiciens se livrent une guerre sans merci, motivés l'un par la vengeance, l'autre par l'agacement, et les deux par une ambition de créer un numéro de disparition qui renouvelle totalement le spectacle de prestidigitation...
C'est une autre mort pourtant qui lance le film, celle d'Angier, sur scène, après ce qui ressemble à une tentative de sabotage par Borden. Celui-ci est arrêté, et va sans doute être condamné à mort, pendant que les témoignages affluent, lançant le flash-back. Une bonne part de ces réminiscences est dû à Cutter (Michael Caine), le grand acteur qui s'est semble-t-il acoquiné à Nolan de façon durable. Lui aussi est un prestidigitateur, plus âgé bien sûr, et qui a pris sous son aile les deux hommes avant de rester aux côté d'angier après son deuil. C'est lui qui nous explique les trois étapes d'un tour de magie: d'une part, faire attendre un acte de magie (disparition, transformation), puis l'acte en lui-même ou le tour, et enfin la restitution: on fait réapparaître l'animal disparu, on montre que l'assistante n'a pas été sciée en deux, ou le transformiste revient habillé comme au début de son numéro. Cette restitution, qui retourne à la réalité sans pour autant donner la solution, s'appelle le "prestige" car c'est le moment-clé pour l'égo du prestidigitateur...
Le fait de situer ce film en 1890, à Londres, en pleine ère Victorienne, n'est absolument pas un hasard: il s'agit de l'époque des grandes fictions du double, de Dorian Gray et du dr Jekyll... De fait, une bonne part du film tourne autour d'un numéro apparemment impossible, développé par Borden et convoité par Angier: un homme entre dans un placard à droite de la scène et en ressort à gauche... La perfection atteinte par Borden va pousser Angier à expérimenter plusieurs solutions, mais aucune ne sera totalement satisfaisante.
Pourtant, le film n'est pas limité à la fiction: après tout, on y trouve aussi Nikola Tesla (David Bowie), inventeur de génie qui aurait pu faire tant d'ombre à Edison. Il joue un rôle crucial, en offrant la possibilité à Angier d'utiliser des doubles artificiellement créés... Ce qui revient évidemment à la fiction... C'est la partie la plus hallucinante du film, qui est bâti pourtant sur un principe simple, celui des prestidigitateurs: si c'est extraordinaire en soi, alors on ne va pas pouvoir le vendre tel quel; le principe qui sera suivi par Angier sera d'utiliser cette machine à cloner, sans le dire, pour laisser au spectateur sans explication quant à son dédoublement... Nolan ne souligne pas trop cet aspect, et au contraire passe une bonne partie du film à nous montrer, d'un point de vue à l'autre, les étapes des deux hommes, sans jamais vraiment nous faire choisir lequel nous allons suivre...
C'est virtuose, dans un film qui agit comme un tour de prestidigitation: Nolan nous bluffe évidemment, sans qu'il soit facile de voir qu'est-ce qui tient de l'illusion secondaire (celles qu'on nous fait miroiter pour détourner l'attention) et ce qui est le vrai tour de magie... Et une fois que le film est fini, on a surtout eu face à nous deux parcours radicalement différents, minés dès le départ, parce que pour Borden ou pour Angier, on le verra très vite, la magie est une chose différente. L'un d'entre eux est un showman de génie, l'autre un artisan à la précision diabolique. L'un est dévoré d'ambition pour lui et lui seul (tant pis si son épouse est décédé dans l'histoire, et au pire ça lui donne un motif de vengeance), l'autre est un mystère...
Inutile de dire que ce film est un chef d'oeuvre gonflé et extrèmement attachant...
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