
"To be on easy street", soit se la couler douce en Anglais. Chaplin maîtrise admirablement le sujet de ce film, qui le voit en vagabond, se réveiller juste devant une mission, un matin, puis entrer, et là, convaincu, décider de s'amender. Il va chercher du travail. On passe ensuite à la rue du titre, dans laquelle a lieu une homérique bataille de voyous, tous plus brutaux les uns que les autres. On voit les policiers retourner au poste, en loques, sur des civières. Alors, le vagabond arrive pour s'engager dans la police, et bien sur, son premier travail sera d'aller faire respecter l'ordre à Easy Street.
Dès la première séquence, Chaplin ne rate aucune cible. il sait quelle est la misère des petites gens, pour l'avoir vécue à Londres, mais ne peut s'empêcher de se payer la tête, gentiment pour l'instant, des bons samaritains. d'ailleurs, son personnage ne daigne rentrer dans le droit chemin que parce que c'est Edna qui le lui a demandé; sinon, le pasteur est incarné par un Albert Austin sans moustache qui a l'air aussi attirant qu'une porte de prison. durant la séquence à la mission, Chaplin se paie aussi la tête d'une catégorie de l'humanité pour laquelle son personnage aura, à une spectaculaire exception près, toujours du mépris: les enfants. Sa voisine sur le banc lui confie un bébé dont le biberon fuit, permettant à Chaplin de placer un échantillon de son humour scatologique , en jouant de son visage de plus en plus inquiet lorsqu'il sent l"humidité lui envahir le pantalon. une autre scène, plus tard, le verra regarder des enfants en surnombre dans une maison d'un oeil soupçonneux, puis il s'adressera brièvement au père, un homme apparemment éteint, auquel il dira quelque chose: des conseils prophylactiques, peut-être?
Easy Street est un cadre parfait pour Chaplin, une rue entièrement construite en studio, dans laquelle l'essentiel de l'action du film se déroulera. L'arrivée du policier Chaplin est construite sur une accumulation cocasse: Eric Campbell, la grosse brute la plus imposante du quartier, vient de mener une lutte déloyale contre un policier, et se partage les maigres sous qu'il avait dans la poche à lui tout seul, en s'affublant de son casque. Il fait fuir tous ses petits camarades, qui ont manifestement peur de lui, et sur ces entrefaites, Chaplin arrive. la "bataille" n'est d'abord construite que sur une observation mutuelle, Campbell ralentissant le rythme pour imposer sa supériorité. mais Chaplin va quand même vaincre le grand... avec un lampadaire à gaz.
Cette victoire lui confère une certaine autorité, jusqu'au moment ou Eric campbell, qu'on avait emmené au poste, revient pour se venger. a ce moment, Edna est sur place, et l'enjeu devient plus personnel encore pur Chaplin. Néanmoins, il a pris le temps de montrer le policier qui se laisse aller à fermer les yeux sur quelques rapines, une visite d'Edna, au nom de la mission, chez une famille très nombreuse (Dont il a été question plus haut), et une séquence qui montre un toxicomane qui se pique, et menace Edna. Beaucoup de péripéties, et qu'on le veuille ou non, une peinture de la misère sous tous ses visages, qui laisse pantois tant le mélange entre comédie et drame est parfait. Eric Campbell aussi: il a rarement été aussi proche d'un duo avec son metteur en scène, et ami. Le film se conclut sur une rare fin heureuse, qui est totalement justifiée. Un superbe court métrage !
