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2 mai 2011 1 02 /05 /mai /2011 08:15

C'est la quatrième fois, après A film johnnie (George Nichols, 1914), The masquerader (1914), et His new job (1915) que Chaplin joue avec le cinéma en train de se faire. Ce nouveau court métrage a trouvé son ancrage-prétexte dans un studio, ou Chaplin est un employé rodé et de longue date: on trouve cet indice de stabilité dans le travail qu'est la petite pipe de Chaplin. il y est doté d'un nom, bien que ce soit surtout pour les besoins d'un gag: il interprète l'assistant David d'un accessoiriste appelé... Goliath (Eric Campbell). les deux vont d'ailleurs, je tremble au moment de l'écrire tellement c'est exceptionnel, manifester une certaine complicité, mais vont surtout jouer la farce de l'assistant exploité de façon honteuse, et tout va se résoudre une fois de plus dans la violence...

L'intrigue est divisée en deux segments, qui ne se rejoignent qu'à deux reprises: d'un coté, on assiste à la vie du studio vue par ses petites mains, avec énormément de matériel lié aux coulisses du tournage des films, et une grève du personnel qui oblige Campbell et Chaplin a tout prendre en charge puisque ils sont les seuls à rester travailler. La grève va dégénérer avec bombe et tutti quanti; de l'autre coté, on voit une jeune aspirante actrice (Edna Purviance, plus ingénue que jamais) s'introduire dans le studio, déguisée en home, avec une salopette et une casquette. Elle croise le chemin de "David" avec lequel elle flirte, puis il la retrouve après qu'elle ait tenté d'empêcher les grévistes de poser la bombe: menacée, elle est "sauvée" par Chaplin.

Une foule de choses se passent durant ces 23 minutes, c'est fascinant. Un carton introductif, ajouté par les distributeurs actuels (David Shepard) nous dit que le film est une parodie de ce qui se passe à la Keystone. J'aurais dit ça de The masquerader, mais pour celui-ci, le studio représenté va au-delà de la fabrique de comédie, même si une grande séquence finale se situe autour de la sacro-sainte tarte à la crème... ce qui est intéressant, c'est bien sur de voir Chaplin évoluer en professionnel décalé dans un milieu qu'il dépeint si bien. Le documentaire de Kevin Brownlow et David Gill, Unknown Chaplin a d'ailleurs rendues publiques un grand nombre de chutes de ce film, des séquences entières ont été mises au rebut, tendant à prouver d'une part que Chaplin avait beaucoup de choses à montrer sur ce sujet, et d'autre part que la nécessité d'allonger ses films se faisaient déjà sentir...

La grève est intéressante aussi, parce que Chaplin et Campbell y manifestent la même camaraderie devant l'adversité que Chaplin et Conklin dans Modern times, devant un phénomène similaire, à la différence que dans le film ultérieur, les deux ouvriers participeront, contraints et forcés, au mouvement social. ici, ils ne participent pas, sans même se concerter. On est loin ici de l'image d'un Chaplin "socialiste", avec ces grévistes ridicules et poseurs de bombes... La place accordée à Campbell, qui n'est pas le méchant du film, tout en étant un sévère antagoniste, est toujours plus importante. Une scène les voit tous deux manifester la même réaction devant la jeune fille: "David" la débusque, et se moque de l'apparence féminine de ce qu'il croit être un garçon. Quand il se rend compte de la supercherie, il l'embrasse. Arrive Campbell, qui surprend ce qu'il croit être un baiser homosexuel: il reprend les mêmes mimiques que Chaplin, en en rajoutant trois tonnes. Voilà donc une allusion flagrante à l'homosexualité, pas vraiment empreinte de finesse, dans laquelle toutefois Chaplin réussit un peu, un tout petit peu, à faire de son personnage une victime, sous cette grande brute de Campbell... vers la fin, lorsque les deux sont engagés dans le tournage d'une scène de bataille pâtissière, Chaplin se débrouille pour ne recevoir aucune tarte (Contrairement à ce que les chutes montrent!), et l'antagonisme profond entre l'accessoiriste et son assistant apparaît au grand jour.

Le final est fascinant, d'abord parce qu'il apporte de l'unité à ce qui aurait pu n'être qu'une série de sketches, ensuite parce qu'il laisse Edna et Charles seuls, après... la destruction du studio. On voit Campbell émerger d'une trappe (l'un des accessoires essentiels du film, pour une série de gags superbes), mais une bombe qui est au fond du trou explose. En l'absence de toute autre résolution, "Goliath" est donc mort... Le studio est en ruine, une fin logique: partout ou Chaplin travaille, l'herbe ne repousse pas. Un grand Chaplin, le dernier film de fiction qu'il tournera sur le cinéma (il s'essaiera au documentaire en 1918, avant d'abandonner le projet), cet art qu'il n'a pas fini d'aimer. Nous non plus, et c'est pour une large part à lui que nous le devons.

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Published by François Massarelli - dans Charles Chaplin Muet