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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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30 mars 2014 7 30 /03 /mars /2014 10:24

http://sarcasmalley.com/BTroom.jpgA Washington, dans une vieille maison, un homme d'âge mur attend. Aucune expression sur le visage, il regarde la télévision, et une femme Afro-Américaine qu'il appelle Louise lui apporte son petit déjeuner, en lui rappelant une triste nouvelle: 'Le vieil homme est mort'. Aucune réaction de la part de Louise, pourtant Chance, l'homme auquel elle parle, est un simple d'esprit, un homme recueilli dès son plus jeune âge par un homme aujourd'hui décédé, et qui a occupé toute sa vie à prendre soin du jardin. Il n'est jamais sorti de la maison... Pourquoi a-t-il été recueilli, dans quelles circonstances, quel est le lien avec le défunt, autant de questions qui seront sans réponse, car Chance ne le sait pas lui-même. Mais sans plus le savoir, il est au pied du mur: la maison est vendue, et il lui faut partir... Louise ne sait pas non plus le lui faire comprendre. Lorsque des avocats passent pour constater l'état des lieux, ils sont très étonnés de trouver un quinquagénaire sur les lieux, et lui font finalement comprendre qu'il va devoir quitter son environnement. Obéissant, Chance met son plus beau costume (Il est autorisé à se servir dans les vêtements de son bienfaiteur, même si le pantalon est trop court) et sort dignement... Se retrouve dans un quartier défavorisé, et est très vite agressé... Mais il ne le comprend pas non plus. A chaque fois qu'il croise une noire, il lui demande si elle peut lui donner à manger, comme Louise le faisait, et c'est totalement perdu qu'il se retrouve au centre-ville, devant un écran géant de télévision qui diffuse son image depuis une vitrine de boutique d'électronique. Il a un léger souci, lorsqu'une voiture dont le chauffeur ne l'a pas vu le heurte: la propriétaire, Eve Rand, en sort, et le recueille; elle est mariée à un homme riche mais mourant, Ben Rand, et durant quelques jours, le jardinier laconique va les bouleverser: Il se présente comme Chance le jardinier (Chance the gardener) mais ils croient avoir affaire à un certain Chauncey Gardiner. Il n'est personne, mais pour eux, il est l'homme providentiel, un conseiller sage dont les platitudes vont trouver l'oreille du président, et bouleverser une nation entière. La presse et les services secrets sont sur les dents: qui est cet homme miraculeux, si fort qu'il n'a laissé aucune trace derrière lui?

 

http://deeperintomovies.net/journal/image09/beingthere6.jpgPeter Sellers incarne un homme qui se contente d'être là, et dont le fait de vivre, pour reprendre les mots de Ben Rand, est un état d'esprit: il ne sait que vivre, de fait! Dans ce contexte, Being there est un titre parfait. C'est un de ces films étonnants, si riches en interprétations possibles qu'ils en deviennent inépuisables. C'est aussi l'une des oeuvres les plus importantes de l'acteur Peter Sellers, le dernier film qu'il sortira de son vivant, et un testament solide pour l'acteur qui a procédé ici comme il l'a toujours fait pour créer un personnage: c'est par la voix que l'acteur Britannique a commencé sa caractérisation,en trouvant l'accent parfait: Américain, mais neutre, comme une feuille blanche sur laquelle on s'apprêterait à écrire dans un Anglais impeccable mais totalement froid. Le reste, une passivité minérale, une quasi-impassibilité impressionnante, semble découler de cette utilisation magistrale de la voix. Chance est en fait l'homme providentiel puisqu'il est si vide qu'il renvoie à tout interlocuteur exactement ce qu'il souhaite y voir, et la première piste à suivre est bien évidemment la satire politique, qui montre un pays entier soudain fasciné par le vide intégral d'un homme qui est tellement envahi de premier degré qu'il en devient un expert de la métaphore: à chaque fois qu'il parle de jardin, on comprend qu'il évoque la nation, quand il mentionne une plante, on croit qu'il s'agit de l'entreprise! Les platitudes pétries du bon sens et de l'optimisme d'un enfant (Ce que Chance est, à en croire Louise) deviennent des devises philosiophiques à l'image du destin d'une nation, pendue à ses lèvres. Mais il serait trop simple de s'abandoner à une interprétatation entièrement consacrée à cette satire au vitriol: si on s'amuse de la confusion, et de ses ramifications sans fin, on constate que le personnage de Chance est d'une part constamment touchant, avec sa douceur et son incroyable regard parfois perdu, qui se raccroche systématiquement à l'affectif pour essayer de garder un semblant de contrôle. D'autre part, le message est que ce pays, en 1979, est justement à la recherche d'un renouveau, d'une innocence perdue... Celle-ci, incarnée par un jardinier simplet, en vaut une autre. Entre la douceur cryptique d'un chance et l'agressivité d'un Reagan, le choix est vite fait! Néanmoins la piste politique renvoie aussi à un cinglant constat d'échec, puisque Chance la "coquille vide" n'est après tout que le reflet direct, passé par la moulinette abrutissante de la télévision, d'une société malade qui tourne en rond autour du vide. Il est le produit parfait de décennies de politique aveugle...

 http://cinema1544.files.wordpress.com/2011/03/maclean-seducing-sellers.png

Ashby a choisi de traiter son film d'une façon objective, en donnant au spectateur le rôle de l'observateur: on sait tout ce qu'il y a à savoir de Chance dès la première demi-heure, afin de pouvoir observer sa confrontation au monde extérieur en toute connaissance de cause. L'effet burlesque est très fort, et tout en étant constamment basé sur un dialogue de sourds, renvoie aussi à une présence physique. celle-ci est tributaire à mon sens de la connaissance par sellers des grands comédiens du cinéma muet, en particulier l'impossible décalage de Stan Laurel dont il était un très grand fan, et l'ancrage profond d'Harry Langdon dans une sorte d'enfance éternelle. Mais il y a aussi des allusions à Buster Keaton: soit Chance réagit avec retard, comme Langdon, soit il réagit par l'impassivité totale, comme Buster. Et une scène renvoie directement à Keaton: lorsque Eve vient le rejoindre dans sa chambre (Une première tentative a échoué de manière lamentable, mais eve a cru qu'il sagissait d'une rigueur morale de la part de Chance plus que de l'impossibilité à exprimer une affection de façon physique): elle se jette sur lui, et comme la télévision passe une scène d'amour d'un téléfilm, il répond à ses baisers de façon fougueuse, en imitation de ce qui se passe sur l'écran: le projectionniste interprété par Keaton prenait ainsi des leçons d'un film, sur la marche à suivre dans les gestes de l'amour, à la fin de Sherlock Jr. Ashby multiplie les plans larges et fixes, et garde une certaine distance qui épouse la froideur de chance: d'eune certaine façon, c'est de son point de vue qu'il s'agit! Comme il le dit souvent, en parlant de la télévision bien sur, 'I like to watch'.

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Drôle mais jamais vulgaire, tout en prenant acte de la transgression passée des années 70 (Shirley MacLaine joue ici sa première scène de masturbation, par exemple!), parfaitement dosé entre métaphore à la Capra, et observation satirique sans trop de méchanceté, le film se prète avec sa dose de mystère à bien des interprétations, permettant de s'interroger sur l'esprit Américain, sur la religion, sur la chose politique: là ou Ben Rand (Melvyn Douglas) voit en Chance un renouveau qui va lui permettre d'affronter la mort en toute confiance, le président des Etats-Unis (Jack Warden) devient obsédé par Chance, au point d'en perdre le sommeil et l'appétit sexuel! Et durant le film, un seul homme, le médecin personnel de Rand, va flairer le pot-aux-roses, mais il est difficile de savoir ce qu'il va faire de cette information: laisser faire le destin, qui pourrait bien envoyer un simple d'esprit à la Maison Blanche, ou bien révéler la vérité, et précipiter le pays dans le chaos? Aucune de ces deux options n'est évoquée, mais elles coulent de source... Being there est bien un film de la même trempe qu'un Forrest Gump, mais, comment dire... Tellement plus beau, tellement plus fort.

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Published by François Massarelli - dans Hal Ashby Comédie