Pour son 21e film, Billy Wilder semble commencer à accuser le coup d'un insuccès chronique: suite au triomphe de son film The apartment, qui lui a rapporté son deuxième Oscar du meilleur film, il accumule échec sur échec, tant public que critique, et la volée de bois vert que lui a valu le très provocateur Kiss me stupid lui est particulièrement restée en travers de la gorge. C'est pourquoi il va déverser une grande rasade de bile dans ce film, qui fait souvent semblant d'épouser les expériences formelles de la période, mais est du pur Wilder: écrit à la virgule près, avec des acteurs acquis (Lemmon, Cliff Osmond) ou qui font une entrée tonitruante dans son univers (Walter Matthau); il destine, comme souvent, son jeu de massacre à l'Amérique, dont un certain nombre de traits sont ici représentés: Omniprésence des médias et en particulier de la TV, carriérisme, mais aussi fausse mobilité sociale, ségrégation de fait, symbolisme vide des droits civiques récemment conquis par les noirs sous la bannière de Martin Luther King... Wilder mobilise ses vieux thèmes, et s'amuse à pousser sa logique du mensonge, ou de la dissimulation, jusqu'au bout, dans un film qui nous conte les aventures d'un avocat véreux (Matthau) qui tente d'exploiter un petit accident dont son beau-frère (Lemmon) a été victime, afin de récupérer le pactole. Tourné avec la rigueur d'un film noir, structuré en 16 chapitres apparents (Chacun son titre, numérotés de 1 à 16), le film est ce qu'on pourrait appeler une comédie triste, et tient son titre d'un de ces "fortune cookies", les gâteaux Chinois qui contiennent un conseil, un dicton, ou une vision d'avenir. Ici, le cookie dit en substance: 'tu ne peux pas tromper tout le monde une fois, ou une personne tout le temps.', et pourtant Willie Gingrich, l'avocat, est bien parti pour tromper son monde. le seul point sur lequel il n'avait pas compté, c'est l'honnêteté non pas d'un, mais de deux hommes...
Un soir de match de football, à Cleveland, la couverture média de l'événement est assurée par CBS, et Harry Hinkle (Jack Lemmon) est l'un de leurs cameramen. Hélas, pendant une action de "Boom boom" Jackson, un populaire joueur Afro-Américain (Ron Rich), ce dernier lui rentre dedans et provoque un évanouissement du cameraman. A l'hôpital, ce dernier reste quelques heures en observation, toujours inconscient, pendant que sa famille attend: sa mère, sa soeur et son beau-frère (Willie Gingrich: Walter Matthau), ces derniers accompagnés de leurs deux enfants, vont rester un petit temps à attendre, et nous donner une splendide image de médiocrité auto-satisfaite (Aucun rapport d'affection ni de tendresse ne semble colorer les rapports de Gingrich et de son épouse, et il n'a pas l'air de se soucier de ses enfants non plus, la mère ne l'ouvre que pour pleurer, et se faire envoyer sur les roses d'un sonore "Shut up" par son gendre). Mais surtout, il vont fournir une occasion en or aux scénaristes: particulièrement avide de s'élever de sa médiocrité financière, et totalement dénué de scrupules, Gingrich apprend de la bouche de sa belle-mère que Hinkle a été victime d'un accident étant enfant, ayant eu une vertèbre sérieusement abîmée: celle-ci doit toujours avoir le même aspect. Il décide de monter une arnaque avec Hinkle, prétendant que ce dernier a été à demi-paralysé par le choc. Hinkle n'est pas très chaud au départ, puis finit par accepter dans l'espoir que sa femme, Sandi (Judi West) lui revienne: aspirante chanteuse, et surtout à la recherche d'un bon parti, elle est partie avec un chef d'orchestre, alors que les perspectives de carrière de Harry ne semblaient pas aller très loin. Elle n'a pas percé pour autant.
Les grains de sable dans cette affaire vont être fournis par trois facteurs: d'une part, bien sur, les avocats de CBS, qui connaissent la réputation de Gingrich, ne croient pas une seule seconde à la paralysie, et engagent Chester Purkey(Cliff Osmond, la garagiste parolier de Kiss me stupid), un détective très fort, qui a déja croisé la route de Gingrich. celui-ci va devoir se méfier des micros et autres caméras de surveillance installés par l'infatigable Purkey, sis en face de l'appartement de Hinkle. D'autre part, le joueur de football par lequel toute cette histoire est arrivée, le bien nommé "boom boom", s'en veut, et va être aux petits soins avec Hinkle, jusqu'à le servir littéralement: il s'installe avec lui, lui fait la cuisine, lui sert le café, et va même jusqu'à récupérer sa femme à l'aéroport. Et en allant la chercher, il ne met pas longtemps à flairer que la jeune femme ne revient pas nécessairement parce qu'elle aime son mari, mais bien plutôt parce qu'elle a compris qu'elle pouvait se faire de l'argent en revenant au bon moment, juste avant une opération qu'elle sent juteuse. Lui qui se dévoue pour Harry, sans compter, ne supporte pas de voir les rapaces s'agiter autour de son ami.
Enfin, autre grain de sable, et non des moindres, Harry qui ne voulait pas de cette arnaque avant de comprendre qu'elle pouvait lui rendre sa femme, ne va pas vraiment apprécier la tournure que prennent les choses, et va finir par refuser de continuer jusqu'au bout.
Wilder fait du Wilder, et avec Izzy Diamond, il a concocté des dialogues avec une délectation évidente. le principal moteur, c'est l'odieux Gingrich, mais il s'amuse aussi beaucoup avec les échanges aigre-doux entre Purkey et son collaborateur. par contre, il a trop insisté sur l'angélisme de Boom Boom, qui confine parfois à une certaine forme de naïveté un peu gênante... Les deux scénaristes se sont amusés sinon à glisser quelques allusions aux médias du moment: le film commence par la couverture médiatique d'un match de football, mais le cameraman qui filme l'appartement de Hinkle depuis l'autre coté de la rue a hâte de rentrer chez lui pour regarder Batman... Toujours, cette tendance à mettre en valeur l'importance de la culture populaire chez ses personnages....Comme toujours, Wilder a aussi su inventer des noms évocateurs, tous chargés soit en sens soit en résonances: au-delà du très simple Hinkle, qui ressemble à un "Twinkle" qui aurait été raboté de son début (To twinkle, c'est le verbe qui veut dire "scintiller", comme les étoiles donc), on a bien sur Gingrich, le nom qui rappelle vaguement le "Grinch", et qui est porté par un personnage odieux et sans scrupules, joué avec gourmandise par Walter Matthau: bref, un sale bonhomme, qui trompe tout le monde tout le temps, n'a de famille que parce qu'un jour il a couché avec sa secrétaire, et a sans doute couché avec sa belle soeur (Il lui met la main aux fesses, et lui signale qu'elle a pris un peu de rondeurs); sinon, Chester Purkey, parfois surnommé "tas de graisse" par son collaborateur, est un personnage rondouillard, mais habile. Un détective privé avec "Key" dans son nom, quoi de plus approprié? Enfin, Boom boom Jackson, le personnage le plus honnête de cette sarabande, est doté d'un patronyme intéressant: Jackson, c'est la capitale du Mississippi, l'état dans lequel les plus importantes avancées de la lutte des noirs pour les droits civiques se sont tenues...Ce ne peut être un hasard, même si le film semble s'en défendre, on constate que le thème des droits civiques est présent, même en creux, du début à la fin de ce film: Jackson, vedette du football, avoue lui-même n'avoir aucun avenir en dehors du sport, et tient un bowling fréquenté uniquement par des noirs. Ses rapports avec les blancs sont symbolisés par ces scènes durant lesquelles il sert son ami Hinkle, dévoué entièrement corps et âmes. Sa seule récompense sera de culpabiliser tant et si bien qu'il va mettre sa carrière en l'air. Mais au moment de s'avouer vaincu, Chester Purkey qui a compris que le point de faible de Hinkle, c'est son amitié avec Boom Boom, va se lancer dans une diatribe ultra-raciste, qu'il semble ne pas avoir eu trop de mal à improviser, afin de provoquer la colère de Hinkle: celui-ci lui envoie un coup de poing qui prouve qu'il n'est pas paralysé... Tous les coups sont permis, bien sur, mais dans l'histoire, Jackson devient doublement victime: de ses égarements, puis de la duplicité des autres...
Au-delà des inégalités raciales, marque des années soixante dont Wilder a pu parfumer son film, c'est d'inégalité sociale qu'il est largement question dans ce film; on a bien un portrait au vitriol de la nécessité de s'élever, qui frappe d'autant plus qu'elle va de pair avec un manque total de décence: les deux personnes qui souhaitent s'améliorer, Gingrich et Sandy, sont absolument lamentables. La famille de Hinkle ne vaut pas mieux, mais manque singulièrement de substance. Il est intéressant de constater que Hinkle n'a que très peu de contacts avec eux, la plupart des scènes familiales le concernant étant passées avec Sandy ou Gingrich. A la fin, c'est avec Boom boom qu'il décide de passer du temps, réussissant à le remettre de bonne humeur, par le simple biais de la complicité. Si Hinkle est plutôt un médiocre, il est aussi plutôt sympathique, d'autant qu'il a su dire non à la voie tracée par son beau-frère, et ce au bon moment. Le révélateur, c'est soit l'évidente duplicité de sa femme, soit le traitement infligé dans les médias à Boom boom Jackson. Quoi qu'il en soit, il décide de redevenir un homme honnête, et s'en sort plutôt bien, le film se terminant sur Jackson et Hinkle, dans un stade vide, fraternellement unis en jouant avec un ballon. Si on n'a pas vraiment de message politique dans ce film, il est clair que la sympathie de Wilder s'est pour une fois assez clairement exprimée dans cette scène finale...
En dépit de ses qualités, le film peine à apparaître suffisamment clair, et on se demande parfois quelle est la cible du jeu de massacre cette fois. Mais même imparfait, il reste à n'en pas douter un film de Billy Wilder, qui plus est avec Jack Lemmon, et aura une descendance inattendue, dans la mesure ou le partenariat entre Lemmon et Matthau fera des petits, et pas seulement avec les deux autres films de Wilder qui les mettront en valeur. un duo de stars est né avec ce film attachant... qui n'aura évidemment pas beaucoup de succès en cette fin des années 60.