Don José (Louis Lerch) fuit son village natal de Navarre, où il a tué un homme par accident. Il s’engage dans l’armée, et fait partie d’une troupe de soldats qui arrive à Séville, où sévissent des contrebandiers, menés par Garcia, dit Le Borgne (Gaston Modot) et sa compagne Carmen (Raquel Meller), dont José va tomber amoureux… Pour son malheur.
Carmen, la nouvelle de Prosper Mérimée, a fourni au cinéma muet de la matière ; rien que l’année 1915 a vu sortir trois films, et non des moindres: un DeMille avec la cantatrice Geraldine Farrar, un film de Raoul Walsh pour la Fox avec Theda Bara, aujourd’hui perdu comme la plupart des films de l’actrice ; de son côté, Chaplin a tourné pour la Essanay un pastiche de Carmen, sorti un an plus tard… En 1918, Lubitsch tourne sa version avec Pola Negri, et Feyder leur emboîte le pas en 1926, sur une commande de l’Albatros. Le but poursuivi par le studio, assez clairement, était de mettre en valeur l’actrice Raquel Meller, mais ce n’est pas à proprement parler un choix des plus judicieux, surtout que le bruit court que l’actrice ne s’est pas entendue avec son metteur en scène.
Celui-ci était pourtant dans son élément : il tourne ici un drame, que son scénario n’édulcore pas. Dès le départ, en filmant un prologue d’une dizaine de minutes qui nous montre la fuite de Don José, il installe l’idée d’une fuite à jamais, d’un éloignement inéluctable du bonheur, avec une très belle scène d’adieux du jeune homme à sa mère. Comme dans L’Atlantide et Visages d’enfants, Feyder a choisi de tourner son film sur les lieux même de l’action, et l’Espagne aride et sèche du film sied parfaitement au drame, qui vire comme dans L’Atlantide à l’obsession de José pour Carmen… Mais celle-ci manque cruellement de substance, étant tout au plus une héroïne vaguement endimanchée en gitane. Privé de sa principale attraction, le drame de Mérimée s’affadit, pour ne plus être qu’un superbe album d’images : le décoratif l’emporte.
Bien sur, les acteurs ne sont pas mauvais, loin de là : Gaston Modot, en Garcia, incarne un Gitan autrement plus flamboyant que Meller; et Lerch est convaincant, lui aussi… Feyder lui a donné par trois fois des affrontements à l’arme blanche qui nous montrent son évolution, depuis une bagarre qui tourne mal, jusqu’à un affrontement inéluctable entre José et le Borgne pour les beaux yeux de Carmen. Dommage que celle-ci n'ait pas suivi.