Dans les années 50, à la suite du formidable mais alarmiste film The thing, de Howard Hawks et Christian Niby, le mot d'ordre du cinéma Américain était "Watch the skies!". Et, de War of the worlds (Byron Haskin, 1953) en Invasion of the body snatchers (Don Siegel, 1956), la confirmation d'un danger potentiel représenté par les extra-terrestres, métaphores grossières d'un danger communiste d'infiltration, était partout. Le pari de Spielberg, en cette fin d'une décennie durant laquelle les cinéastes ont plus ou moins pris brièvement le pouvoir à Hollywood derrière Coppola et Scorsese, était donc de renverser la tendance, tout en se permettant de s'approprier les formes classiques et spectaculaires de la science-fiction. A ce titre, son film visionnaire est encore là pour faire école, 36 ans après... Même si son fondamental optimisme n'a pas résisté à la fin des années Carter, à des 80s qui se sont avérées sanglantes en matière d'idéal, et au 11 septembre: voir à ce sujet le dernier film que Spielberg a consacré au phénomène extra-terrestre en 2005, nouvelle version du War of the worlds de H.G. Wells actualisé à l'aune des attentats terroristes du XXIe siècle.
Il faudrait néanmoins se garder d'imaginer que le film ne soit finalement qu'une pièce de musée, dépassé par les évènements, la technologie numérique ou les nouveaux développements en matière de narration cinématographique, ou quoi que ce soit d'autre. D'une part, même si le Spielberg de 1977 croyait dur comme fer à l'hypothèse d'une rencontre à venir entre les humains et les extra-terrestres, motivant ainsi son désir de faire ce film, il faut bien dire que Close encounters ne se réduit pas à cette lecture au premier degré... D'autre part, tout son cinéma en découle d'une manière ou d'une autre, à commencer bien sûr par les deux 'suites' de sa trilogie extra-terrestre, soit E.T. (1982) et War of the worlds déjà cité. Spielberg n'a sans doute pas fini de s'abreuver à la source de ce qui reste l'un de ses meilleurs films.
Indiana, 1977. Roy Neary et un certain nombre d'autres habitants de cet état sont "visités" par une rencontre extra-terrestre, à des degrés divers: certains en ont gardé la séquelle d'une intense brûlure façon coup de soleil, certains sont marqués par l'intrusion d'un thème musical dans leur tête. Tous sont aussi visités par l'image obsessionnelle d'une montagne mystérieuse. Tous sont également amenés à avoir un comportement obsessionnel, de plus en plus erratique, ce qui se traduit pour Roy, un père et mari déjà pas vraiment parfait, par un licenciement dont il n'a rien à faire, puis par un comportement de plus en plus inexplicable vis-à-vis de sa famille. Pour Jillian, une jeune peintre qui vit seule avec son fils Barry, la rencontre va se traduire par l'enlèvement de ce dernier par des aliens... De son côté, un ufologue Français, le professeur Lacombe, semble mener une opération de grande envergure pour comprendre le message laissé par les extra-terrestres à a plupart des populations de la planète... Tout ce petit monde se retrouvera au Wyoming, à l'abri d'une montagne aux formes légendaires.
Roy Neary, interprété par Richard Dreyfuss, partage finalement avec le petit Barry une confiance assez inexplicable en ce qui pourrait lui arriver auprès des extra-terrestres, c'est l'une des leçons optimistes de ce film, dont Spielberg voulait faire un rappel du fait qu'à cette époque lointaine, on pouvait sans doute partir de chez soi, en laissant la porte ouverte! Le monde n'était pas uniquement fait de dangers. Roy et Barry, bien sûr, sont des enfants; l'un d'entre eux a environ 5 ans, et l'autre se comporte en tous points comme un gosse, ce que le film nous rappelle souvent: il joue, répare des jouets, se laisse happer par le moindre prétexte, et n'assume absolument pas sa condition de père, voire de mari. Il se séparera de sa famille (Ce qui ne semble pas l'affecter tant que ça, d'ailleurs) au milieu du film. Le personnage de Ray (Roy, Ray...) dans War of the worlds en est une variation à peine déguisée à la base, même si l'enjeu sera pour lui de retrouver sa famille et de la maintenir vivante, justement! On retrouvera aussi le schéma d'une mère célibataire dans E.T., confirmant cette hypothèse d'un portrait d'une Amérique dont les valeurs morales se sont ouvertes de façon considérables en un siècle. Mais l'idée d'un homme-enfant apte à reconnaître la tentative de rapprochement opérée par les aliens dans ce film pour ce qu'elle est, est prolongée par l'enthousiasme enfantin du professeur Lacombe, et par de nombreux collaborateurs de ce dernier, comme le prouve une scène: les responsables en costume et cravate font l'assaut d'une salle où trône une superbe mappemonde géante pour en déloger la reproduction de la terre, qu'ils récupèrent en la faisant rouler comme un ballon! Le corollaire de ces enfantillages, c'est bien sûr le désir de désobéissance, observé par Roy qui ignore les avertissements de danger, mais aussi la saleté, dans laquelle tous les "visités" s'installent lorsqu'ils essaient de reproduire dans de la matière molle la vision mystérieuse d'un monticule signifiant. Il n'est pas interdit d'y voir l'appel de la matière fécale, ce qui nous envoie d'ailleurs vers Jurassic Park et son abondance de monticules de crotte (Un des témoins de la rencontre finale dans Close encounters a d'ailleurs devant l'arrivée d'un vaisseau géant le même problème que l'avocat de Jurassic Park lorsqu'il voit un T-Rex: il lui faut se précipiter aux toilettes!). Entre humour, clins d'oeil, et mise en scène de l'émerveillement (qui passe par le regard, notamment celui d'un enfant), Spielberg accomplit quoi qu'il en soit un hommage complet à l'ouverture d'esprit des enfants... Ce qui, à trois ans de l'enfer Reaganien, ne manquait pas de sel.
Et puis, je m'en voudrais de ne pas mentionner cette mise en scène toute en contrôle permanent de l'émotion du spectateur, mené par le bout du nez dans le sillage de Roy et Jillian, auquel on montre les préparatifs exaltés d'une rencontre entre l'homme et l'extra-terrestre, sans jamais la nommer. Cette façon qu'a Spielberg de nous préparer à une image inédite, souhaitée mais jamais crue possible, et de ne nous l'asséner qu'une fois les personnages mis à leur tour au courant: Jillian entendant derrière elle un bruit sourd, se retournant lentement, et voyant... ce que nous ne voyons pas encore mais pouvons deviner, un vaisseau grandiose. Le désir de le voir, l'incontrôlable volonté de profiter de l'image hallucinante désormais à notre portée, et la réalisation enfin de ce désir dans un déluge de musique contrôlé par un maestro (John Williams, bien sur): Spielberg optimiste, c'est la promesse d'un cinéma de la jouissance!! Une science du regard, de la mise en scène du regard, et du savoir montrer.
C'est d'ailleurs le regard qui semble faire ici de sérieux pieds de nez à la communication: entre le français qui a de sérieuses difficultés dans la langue de Shakespeare, et l'incommunicabilité entre Roy, sa femme et ses enfants, on voit bien que le fait de parler ne résoud rien... Et Spielberg accumule les preuves, en montrant par exemple la presse incapable d'avoir des réponses à ses questions. Et si Lacombe orchestre bien une rencontre, grâce à des indices, ils n'ont pas été communiqués par le langage, et malgré tous ces éléments, l'Armée réussit encore à se vautrer, électionnant ses meilleurs surhommes-et-femmes surentraîné(e)s, mais les petits rigolos d'aliens leur préféreront ce brave Roy Neary, lui qui ne sait même pas ce qu'il fait là, pour l'inviter à l'intérieur de leur carosse magique.