Une fois de plus, Michael Mann nous parle, à travers ce beau film noir empreint d'un suspense impressionnant, de nous, de nos quotidiens, nos frustrations, et de notre morale, sous un jour jamais moralisateur. Pour commencer, il sait installer un univers, et ici ce monde qui est montré commence par la tournée routinière d'un chauffeur de taxi de nuit à L.A., Max (Jamie Foxx), qui a choisi le travail nocturne pour des raisons humaines: il est plus tranquille, et apprécie le fait que ses clients soient beaucoup moins stressés. On le voit dans une exposition qui semble presque gratuite, durant laquelle il conduit une jeune avocate (Jada Pinkett Smith) jusqu'à son bureau, ou elle va passer la nuit en attendant une journée importante, le début du procès dont elle est le procureur. Ils parlent, sans flirter vraiment, et lui se révèle tellement à la jeune femme qu'elle ne résiste pas à l'impulsion de lui laisser sa carte à la fin de la transaction. Cette exposition est presque gratuite, disais-je, puisque d'une part on a à l'issue de ces 11 minutes parfaitement saisi le caractère foncièrement empathique de Max, et on a très envie de rester avec lui pour le reste du film, et surtout, bien sûr, cette anecdote de rencontre aura de l'importance pour la suite...
Avant cette rencontre entre un chauffeur de taxi et une cliente, on a vu une autre simple anecdote, un échange de mallettes à l'aéroport entre l'autre protagoniste principal du film, Vincent (Tom Cruise), et un anonyme. Il procèdent à cet échange de façon discrète, mais le spectateur a compris: Vincent est, on l'apprendra très vite, un tueur professionnel, et il a une mission, celle de refroidir cinq personnes afin d'éviter un procès. Il a besoin pour cela d'un taxi, et si possible d'un chauffeur qu'il sauré obliger à l'attendre, voire l'assister... C'est comme ça que Vincent et Max se retrouvent l'un avec l'autre, le type bien et le tueur froid, et qu'ils vont en dépit de tout déteindre l'un sur l'autre... surtout Vincent qui ne va jamais hésiter à donner à Max son avis sur tout, lui conseillant d'aller voir sa maman à l'hôpital, lui signalant qu'il n'est pas assez ambitieux, voire lui montrant que ses rêves d'avenir (Devenir son propre patron dans une entreprise de taxis de luxe) ne se réaliseront jamais... Et Max, obligé de rester bien qu'il ne soit pas exactement pris en otage, va essayer à de multiples reprises de contrecarrer les plans de son client (Celui-ci n'a pas de contrat pour tuer Max, et surtout, il l'aime bien, donc il ne le supprimera pas...). Il va aussi apprendre à prendre des décisions, à improviser aussi, à la suite de son étrange client, et agir pour son propre avenir, ainsi que pour celle qu'il a rencontrée au début du film.
Une rencontre entre deux mondes, c'est l'un des sujets les plus courants des films de Mann: la rencontre entre un tueur enfermé, un profiler et un fou homicide en activité dans Manhunter, le choc culturel de Last of the Mohicans, le flic à la vie familiale pourrie et le tueur qui refuse de s'attacher pour ne pas mettre quelqu'un en danger dans Heat, ou enfin la rencontre de deux caractères antagonistes dans The Insider: Il aime à mettre ses personnages en relation avec ceux qu'ils ne cotoieraient pas naturellement. On a vu récemment avec Public enemies, que cette rencontre n'a pas besoin d'avoir lieu en vrai, qu'il suffit que le terrain de jeux soit parcouru par les uns et les autres. C'est dire si cette notion de rencontre Max-Vincent a des allures cosmiques... et ici, il faut le dire, Vincent apporte à Max énormément: il lui donne une occasion de se lever, d'exister même, sinon ce chauffeur de taxi aurait-il vraiment été jusqu'à contacter la belle avocate? Le film est une rencontre, aussi un réveil, brutal, et effectué en temps réel, d'un homme. En héros proche une fois de plus des personnages de Jean-Pierre Melville, Vincent (Tom Cruise, tellement bon qu'on ne le reconnait pas!) a en effet une morale, et un avis pas toujours déplacé sur tout... Mais on évite le piège du film de gangster à vocation parodique à la Tarantino. Le film reste une affaire sérieuse, dopée par un suspense extrême: Mann se permet de surpasser l'intensité de la fameuse fusillade de Heat, en amenant ici une confrontation entre le tueur, le chauffeur embarqué malgré lui, la police et une victime ... dans une discothèque bondée! Dans ce film ou une fois de plus Mann se prend à filmer Los Angeles d'une main de maître, on ne peut pas se lever et faire autre chose, on DOIT regarder, et aller jusqu'au bout: c'est magnifique.