Intermédiaire de Keaton auprès de la United Artists, et "patron" de Buster, depuis les débuts, Joe Schenck a fait payer les excès budgétaires de The General à son poulain de multiples façons: d'une part, il lui a collé dans les jambes un superviseur du budget, lui a imposé la présence d'un réalisateur unique, l'a privé de toute interférence sur le script (du moins dans la phase de planification, comme on va le voir), et lui a imposé un sujet. College représente donc, après le chef d'oeuvre The general, le point le plus bas de la carrière muette de Buster Keaton. Le plus mauvais film, ou en tout cas le moins bon, et le début de la perte de contrôle du metteur en scène. Une fois de plus, j'utilise à dessein cette expression, sans doute paradoxale dans la mesure ou Keaton n'est crédité d'aucune participation à la mise en route de College, pas plus que des trois films muets suivants qu'il interprétera. Mais un acteur aussi physique que lui (Et c'est vrai aussi pour Laurel, Chase, Langdon, et Chaplin bien sur, sans oublier Lloyd) ne peut pas déléguer à un autre toute latitude sur le placement des acteurs, les mouvements de caméra, le montage, à plus forte raison dans un film dont les trois quarts des scènes ont trait au sport, et avec le sens particulier du timing dont fait preuve Keaton. Du reste, il a manifestement mis la main à la mise en scène (Qui porte souvent sa marque), et la légende veut qu'il ait, avec la complicité de l'équipe technique du film, fait sentir à Horne qu'il était indésirable sur le plateau. C'est triste pour le metteur en scène, qui saura à merveille s'adapter à Laurel quand on sait à quel point ça pouvait être difficile, mais il n'était pas vraiment responsable de cette situation, qui était avant tout un contentieux entre Buster et son patron ...et beau-frère.
College a été dicté non seulement par la nécessité de faire un film à petit budget suite au naufrage de The General, mais aussi certainement par le succès de The Freshman, énorme succès de 1925 pour Lloyd: le scénario du à Carl Harbaugh copie sans vergogne l'histoire du film de Lloyd, faisant de Keaton un étudiant doué pour les études qui s'essaie au sport avec des résultats désastreux, afin de gagner le coeur de sa bien aimée. Il est la risée de tous mais finit bien sur par triompher.
Keaton est donc le clown de l'université, ce qui est répété avec insistance, mais c'est très gênant pour un acteur dont le personnage avait coutume de rester à l'écart du monde. Moqué par tous, il devient automatiquement le centre d'intérêt, et on peut comprendre que Keaton ait été gêné par cette violation de ses principes. Clairement les concepteurs du scénario n'ont aucune connaissance de l'univers Keatonien, et on eu recours à des variations sur son personnage dans The Saphead, en y ajoutant un grande dose de ridicule voyant inspiré par Lloyd et The freshman.. Un autre truc gênant, c'est cette tendance des films sur les universités à ne retenir que le sport. Le film prend un parti très manichéen, ridiculisant Keaton lorsqu'il met en avant sa réussite sans la moindre implication sportive, et se plaçant du coté des rieurs le plus souvent. Les sportifs du film, d'un autre côté, sont comme dans la vraie vie: néandertaliens, préoccupés de gagner plus que de participer, prompts à pratiquer l'exclusion. Au moins, on est d'accord.
Pour le reste, Keaton fait beaucoup d'efforts pour s'approprier le film, en mettant un point d'honneur à rater avec le tentatives de faire du sport, avec des résultats inégaux mais souvent très drôles. D'autres touches prouvent qu'il a mis son grain de sel un peu partout: il a dépéché Snitz Edwards, avec lequel il avait déjà tourné Seven chances et Battling Butler, dans le rôle du doyen de l'université; il a appelé l'un des bateaux de la course le Damfino (Voir The Boat), ce qui ne lui portera pas chance, bien sur, et il a entièrement construit la fin à son image: Keaton reçoit un coup de téléphone de sa petite amie Mary, séquestrée par la grosse brute de l'université. Keaton se lance dans un sauvetage de toute beauté, faisant des prouesses (Course, saut à la perche, et autres) afin d'arriver et de la sauver. Mais surpris dans la chambre de la jeune femme, il n'a d'autre ressource que de se marier avec elle. Ils le font, en deux plans (Ils entrent dans l'église, fondu, ils en sortent), puis on les voit plus agés avec des enfants, et enfin vieux et manifestement aigris. Cette reprise du dispositif final et inattendu de The blacksmith nous rappelle que Keaton n'a pas dit son dernier mot, et que décidément son mariage était un naufrage... Et dans un registre plus léger, lui permet de faire comme il l'aimait, terminer un film d'une façon très inattendue.
Ce n'est pas un calvaire à regarder, du moins tant qu'il n'y est pas trop question de sport... Mais voilà, ce n'est ni The general, on l'aura compris, ni The Freshman. Keaton a très mal pris qu'on lui fasse copier un confrère, même si je n'ai aucune idée de l'estime dans laquelle il tenait un Harold Lloyd sans doute trop homme d'affaires pour lui; en tout cas, College n'était pas pour lui une bonne expérience. Ironiquement, le film fera moins d'argent que The general...