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Le sujet est mélodramatique à souhait et nous fait craindre le pire: une jeune femme de la bourgeoisie (Fannie Ward) tombe sous le charme d'un homme d'affaires Japonais (Sessue Hayakawa, devenu Birman dans les copies en circulation afin d'éviter de stigmatiser la forte communauté Japonaise de Californie), et lui demande de l'aide lorsqu'elle commet une bourde financière. Sortie d'affaire, elle veut lui rendre l'argent, mais il refuse, sous le prétexte qu'il estime l'avoir achetée. Pour le lui prouver, il la marque au fer rouge. Elle tente de le tuer, juste avant l'arrivée de son mari, qui endosse le crime. S'ensuivent des scènes de procès aux cours desquelles le mari tente d'empêcher la femme de révéler la vérité.
Le film commence par une courte séquence qui nous présente la star Hayakawa, star paradoxale puisqu'il est aussi le génie maléfique du film... Ici tout est dit ou presque: une source de lumière externe, venue de la droite, hors caméra, s'oppose à l'obscurité du plateau. A gauche, une source interne au plan permet de justifier l'éclairage du visage de l'homme. Celui-ci utilise un tampon pour marquer de son empreinte un objet. Tout est dit: le principal acteur est un mystérieux oriental, il est possessif, et a des méthodes radicales pour le revendiquer, et le film sera un manifeste du clair-obscur...
La première surprise, après, c'est le raffinement des décors et des costumes, à une époque ou le cinéma Américain, héritier du plus bas mélo théâtral, ne s'embarrasse jamais de ce genre de détails, et se contente d'utiliser des intérieurs et des toilettes "génériques": on tend ici à croire en l'environnement des personnages, et les scènes de cocktail mondain ajoutent à l'illusion, un peu à la façon des Russes de l'époque, très attachés à la véracité des apparences (On pense à Bauer, et je doute que DeMille en ait eu connaissance); le jeu des acteurs est plutôt sobre, tout en retenue, sauf au plus fort du drame, lorsque les circonstances l'exigent: le marquage est malgré tout filmé avec une certaine sobriété, la caméra se concentrant sur le visage déterminé de Hayakawa. On évite l'hystérie de la victime. Par ailleurs, le mari (Jack Dean) reste lui aussi sobre. On sent une direction d'acteurs avare en effets, de manière à laisser le champ libre au travail visuel.
Et c'est bien sûr dans ce travail de mise en images que l'on retrouve les plus grandes qualités du film, dans un montage parfait, se faisant oublier, mais toujours fluide, sans ces longs plans qui alourdiront les films parlant du maitre (The sign of the Cross ou Cleopatra en montrent de nombreux exemples); ici, l'utilisation fréquente d'inserts, savamment dosée, maintient l'intérêt au même titre que les gros plans des acteurs. Le tout permet une grande lisibilité (une remarque toutefois: sur la plupart des copies, un insert nous montre un journal daté de 1918: il s'agit de la ressortie de 1918, altérée par le changement de nationalité du protagoniste) La plus grande qualité du film, et de DeMille nous soufflerait Brownlow, c'est la science de l'éclairage. Au moment crucial, le metteur en scène et son équipe nous limitent volontairement le champ de vision, n'éclairant que partie du drame, filtrant l'action, en écho aux tromperies en jeu à l'écran: Fannie Ward, fuyant dans la pénombre vers le rendez-vous fatal, ne remarque pas le visage de son mari, qui nous a été partiellement révélé. Je parlais du décor, ici, il disparaît totalement. Ensuite, la lumière étrange du domicile du Birman enveloppe le drame qui s'y joue d'un voile sordide, dont on nous a d'ailleurs prévenu: pour la séduire (l'envoûter?), Hayakawa montre à Ward une statue de Bouddha, et l'éclaire différemment, la rendant tour à tour mystérieuse (derrière un écran de fumée) ou anodine, à l'instar de leur pacte, tour à tour amical (le prêt) ou sordide (le pacte sexuel); le tout ressemble furieusement à une réflexion cruelle sur la mise en scène dans les commerces humains.
Il est hélas inévitable, en 1915, et c'est le point le plus embarrassant du film, que le Birman soit le plus fourbe d'entre les protagonistes, mais les commentateurs qui s'indignent aujourd'hui du racisme du film vont peut-être un peu loin dans le "Politiquement correct". Un autre aspect mériterait sans doute d'être développé, concernant la forte misogynie du film; si le mari est un héros, la femme est assez clairement une idiote... Toutes ces considérations sont sans grande importance: DeMille était un showman, puisant dans le vivier des idées reçues afin d'alimenter ses histoires en images, et ce film est un grand show, proposant 59 minutes de divertissement digne d'inaugurer la grande série des drames/comédies matrimoniales qui allait suivre...
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