Une noce, manifestement assez luxueuse, a lieu. On apprend assez vite que le marié est le majordome, Albert (Paul lukas) d'une famille riche et respectée, et la mariée Anna
(Virginia Bruce) est également employée de la même maison. L'harmonie règne entre les différentes strates de la société, et Albert est particulièrement ému de l'attention que lui témoignent ses
maîtres, le Baron Nicky Von Burgen (Reginald Owen) et la baronne Eloïse (Olga baclanova). Arrive un homme, élégant et moqueur, qui s'installe dans la noce avant de négligemment révéler son
identité: il est le nouveau chauffeur, Carl (John Gilbert). Dès le départ, il s'amuse des autres, transgresse les conventions, installe un malaise de plus en plus palpable, en particulier chez
les femmes. Il ment, séduit, manipule... Albert en particulier, très attaché à la hiérarchie sociale qui définit son rôle de majordome, va souffrir dans son statut et dans son jeune couple de
l'arrivée du nouveau venu...
C'est d'un argument de John Gilbert (Prévu pour un film muet en 1928, et mis de côté pendant quatre ans) que le script du film a été adapté, comme c'était déjà le cas pour Man, Woman and Sin du même Monta Bell. Gilbert, peut-être sous l'influence de son ami Erich Von Stroheim, a imaginé un personnage de chauffeur sans gène qui sait profiter de sa séduction pour vivre à sa guise, mais ses motivations profondes ne sont pas vraiment claires: il semble surtout mu par l'appétit de pouvoir, le fait de pouvoir profiter d'une femme (La cuisinière, Sophie, interprétée par Bodil Rosing, est sa première victime. A des degrés divers, la baronne et la jeune mariée Anna auront également à souffrir de ses exactions), et semer la confusion, parce que ce qu'on voit très vite, c'est qu'il n'en est pas à sa première famille, et ce ne sera pas la denière fois qu'il flanquera la pagaille... Donc inutile de chercher chez lui un appat du gain, des plans plus élaborés. Ce n'est même pas un escroc, lui qui admet sans faire de détours aux femmes dont il profite qu'il ne reculera devant aucune opportunité, avec une désarmante candeur...
John Gilbert joue à fond la carte de la séduction la plus vile, et propose à son tour une nouvelle vision d'un thème qui était déjà au coeur d'autres films du même réalisateur:
et si les rôles pouvaient s'inverser? A la femme "coupée en deux" interprétée par Norma Shearer dans Lady of the night, deux rôles, deux femmes nées le même jour, mais dans des
classes sociales différentes, à la vision d'une artiste incapable de faire autre chose que d'apparaitre sur scène, qui affiche des ambitions disproportionnées dans Upstage,
Gilbert oppose l'homme qui a décidé que les conventions rigides de la hiérarchie entre domestiques et leurs employeurs n'étaient que des limites à transgresser. Mais on va plus loin ici: c'est
précisément parce qu'il y a des barrières et des limites que Carl existe. Il se nourrit du malaise que sa présence et ses manipulations (Coucheries, tromperies, vol, chantage, adultère... la
routine donc) vont engendrer, et du même coup on comprend qu'il n'est qu'un révélateur du système. Ce n'est pas un hasard si le film se déroule dans la vieille Europe, et on retrouve ici l'ombre
de Stroheim et ses mondes parallèle, comparaisons entre une Europe décadente et une Amérique toujours plus moderne...
Le film, ni une comédie ni un drame, distille un malaise qui sera écarté d'un seul coup, grâce à une salutaire prise de pouvoir par Albert. Mais les cicatrices du passage du chauffeur mettront sans doute du temps à disparaitre. Le film est plus qu'intéressant, et montre paradoxalement que Gilbert et Bell, en disgrâce à la MGM, ont peut être bénéficié de l'indifférence à leur égard que pouvait manifester un Louis B. Mayer pour faire absolument ce qu'ils voulaient, un film dans lequel un homme utilise ouvertement les femmes, dynamite les conventions et malmène la famille... La mise en scène de Monta Bell montre le metteur en scène contrôlant la situation de bout en bout, utilisant à merveille les objets de tous les jours pour créer des liens entre les scènes, les êtres, et nier en douceur les conventions et les hiérarchies pourfendues par le chauffeur... auquel on donne finalement raison: lorsque le Baron voit Albert mettre un coup de pied salutaire au derrière de Carl, il a un geste qu'on aurait pour un chien qui s'est bien conduit. Le mariage du début n'était qu'une façade: les maitres sont bien les maitres, et les valets resteront en bas, "downstairs".