Après la réussite de One week, tout s'est passé comme si Buster Keaton avait été débarrassé d'un poids impressionnant, et le film suivant est beaucoup moins rigoureux, à tous les niveaux. mais il recèle quand même de solides moments de Keatonerie, et grâce au bon vieux truc du rêve, il nous permet d'avoir accès à ce fameux sens de l'absurde sans limite qui a fait une bonne part de sa réputation, et qu'il doit en partie à ses années de formation auprès de Roscoe Arbuckle...
Donc, Convict 13 s'appelle en Français Malec champion de golf, et si le stupide titre Français rend bien compte de l'essentiel de la première bobine, même si Buster n'est en aucun cas un champion, le titre original quant à lui se concentre plus sur la deuxième partie: Buster y joue un golfeur, venu pratiquer son sport favori sur un terrain situé pas trop loin d'une prison. Un détenu s'évade, et échange ses vêtements avec lui. Lorsque les gardes à la poursuite de l'évadé interviennent, ils emportent donc notre héros, bien sur.
Sur ce canevas, viennent se greffer un certain nombre de situations. Bien sur, Buster est amoureux, d'une jeune femme jouée par Sybil Seely (qu'il cherche à épater en jouant au golf), et celle-ci se révèle dans la seconde partie être la fille du directeur de la prison... Sinon, alors que le héros a échangé son uniforme de détenu contre celui d'un garde évanoui, un autre détenu (Joe Roberts) commence une mutinerie impressionnante, et Buster va jouer un grand rôle dans sa capture, mais la mutinerie va s'étendre à tous les autres prisonniers malgré tout....
C'est du grand n'importe quoi, donc, et non seulement une scène finale va révéler que tout cela n'est qu'un rêve, mais la logique de l'ensemble est celle du délire des rêves, le principal vecteur étant ici celui de l'échange de vêtement. Buster déguisé en golfeur agit comme un golfeur, en détenu comme un détenu, et en gardien, comme un représentant de la loi. le film est dominé par l'humour physique et sportif, avec des gags joyeusement idiots (la fessée administrée au poisson après lui avoir fait restituer une balle de golf qu'il avait avalé, la corde pour pendre le condamné, remplacée par un élastique), et des prouesses: le plus impressionnant serait selon toute vraisemblance une trouvaille de Joe Keaton, le père (d'ailleurs présent parmi les prisonniers ici): Keaton assomme les mutins les uns à la suite des autres en faisant tournoyer une corde au bout de laquelle un boulet est attaché: un ballet à la précision redoutable...
L'humour noir est déjà présent, avec une scène au cours de laquelle, venu se réfugier dans la prison pour échapper aux gardiens, Buster apprend qu'étant le numéro 13, il va être exécuté le jour même. S'ensuivent diverses mesures, et en particulier l'exécuteur (Eddie Cline) lui trouve le cou parfait pour être pendu... Les scènes de la poursuite entre les gardiens et le faux détenu sont une prémonition de Cops (1922) et Seven chances (1925) dans lesquels Buster sera aussi poursuivi, respectivement par des policiers, et des femmes en colère. Mais ici, les gardiens ne sont qu'une dizaine. Toutefois, on trouve ici un gag qui sera absent des deux films en question: rejoint par la troupe de gardiens disciplinés, et se trouvant de fait à leur tête, Buster change de direction comme à la parade, immédiatement imité par tous les hommes en uniforme...
Bon, voilà, Buster Keaton rode son style, et s'essaie à diverses expériences. Ce film loufoque n'a pas la maîtrise des deux précédents, mais il porte en lui des promesses, qui en plus seront tenues par les films qui suivront, et c'est déjà beaucoup. On voit en plus avec plaisir l'équipe se compléter et revenir pour notre plus grand plaisir: outre Joe Keaton, il y a aussi Joe Roberts dans un rôle spectaculaire, la jolie Sybil Seely, et l'apparition d'Eddie Cline. On est bien dans l'univers de Buster Keaton, c'est sûr.