Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
16 septembre 2016 5 16 /09 /septembre /2016 20:49

Réalisé la même année que Dracula, le film de Whale est une adaptation étonnamment inventive du roman de Mary Shelley, dont il semblerait qu'on n'ait retenu que le meilleur. Comparé à l'autre film-évènement de cette année horrifique, il est évident que Frankenstein domine: là ou Browning s'était efforcé de coller au maximum sur la pièce de théâtre adaptée du roman de Stoker (Au point de donner parfois l'illusion que les acteurs sont sur une scène), Whale a privilégié le cinéma dans son film, prenant appui sur son amour fervent des films d'épouvante Allemands, Le cabinet du Dr Caligari en tête: Une inspiration qui apparait de façon évidente dans une scène qui cite ouvertement le classique expressioniste de Wiene: celle de la tentative de s'approprier la "mariée" Elizabeth vers la fin: Karloff s'approche de Mae Clarke aussi lentement que Conrad Veidt de Lil Dagover.

 

 

 

Frankenstein commence de façon appropriée, par un service funéraire, et un plan assez long qui montre les personnes assistant au dit service, jusqu'à une figure sculptée de squelette; la scène évoque non seulement le thème majeur du film, il est aussi une façon bien pratique de mettre en valeur le coté indiciblement Est-européen du film... un moyen passe-partout déja expérimenté par Browning dans la scène de la passe de Borgo dans Dracula, mais tellement plus efficace dans ce film, ou l'ambiance mortuaire installe dès le départ une atmosphère pesante, dont les scènes suivantes vont bénéficier: Henry Frankenstein (Colin Clive) et son serviteur Fritz (Dwight Frye) sont en effet venus attendre tranquillement la fin du service religieux pour déterrer le cadavre... ensuite, le bossu Fritz ira à l'université mettre la main sur un cerveau, afin de nourrir les expériences de son maitre. mais Whale maintient le suspense, et on ne sait pas vraiment, avant qu'au bout d'une vingtaine de minutes la fameuse séquence de "naissance" du monstre ne vienne mettre les points sur les I, ce qui se trame, si Frankenstein est fou ou génial, intéressé par le bien de l'humanité, ou profondément maléfique... Et puis une fois le monstre créé, tout s'éclaire, le savant est incapable de l'appeler autrement que "It", une vulgaire chose, une création vite oubliée car imparfaite. Voilà qui est clair, et qui explique pourquoi il sera si facile pour le spectateur de s'intéresser à ce monstre si humain: abandonné par son créateur, il va vite être à la recherche de gens qui l'aiment, ou s'intéressent à lui, et va hélas provoquer la mort sur son chemin...

 

C'est un peu injuste, du reste, de limiter l'intérêt qu'on porte au monstre de Boris Karloff (Rappelons à tous les béotiens que Frankenstein, ce n'est pas le monstre , mais son créateur) à un truc scénaristique: de toute évidence, un personnage aussi fabuleux ne pouvait prendre vie qu'avec le talent d'un acteur exceptionnel, quelqu'un qui puisse maitriser le langage du corps pour aller dans le sens des grands films muets dont Whale s'inspirait avec génie. L'une des raisons pour lesquelles on aime tant Boris Karloff aujourd'hui, c'est précisément qu'il a joué le rôle de sa vie dans ce film, l'un des plus beaux rôles et les plus inoubliables qui soient...

 

Le film a été majoritairement tourné en studio à l'exception des scènes de la fameuse mort de la petite fille, de la fête au village et de l'émotion des villageois qui va les conduire à une expédition punitive. Ca permet, une fois encore bien plus que dans Dracula, à la caméra de se libérer de façon très satisfaisante. Et de fait le talent de Robert Edeson dans le film est à la mesure des ambitions de Whale, et le film est rendu inoubliable par l'élégance picturale de l'ensemble; du reste, c'est depuis toujours un des plus beaux films en noir et blanc qui soient... Mais le talent de Whale ne s'arrête pas à sa collaboration réussie avec Edeson; si le matériau lui a tant plu (Le film est passé par plusieurs mains, avant d'être confié au metteur en scène Anglais, qui n'avait pas au départ de vraie envie de le tourner avant de réaliser qu'il s'agissait d'une opportunité incroyable), c'est aussi parce qu'il va pouvoir sans aucune retenue se livrer à des expérimentations de découpage, comme ce plan d'ouverture en plein vif du sujet, ou ces séquences qui en disent tellement plus en trangressant les petites habitudes: la façon dont il présente le triangle amoureux entre Henry, sa fiancée Elizabeth (Mae Clarke) et leur ami Victor (John Boles), passe par une scène qui commence par trois gros plans inattendus (Henry sur un portrait, puis Victor qui entre chez Elizabeth, Elizabeth enfin), avant même le plan d'ensemble qui va permettre au spectateur de comprendre ou il est... Ainsi, sont mises en valeur l'urgence des sentiments de Victor qui souhaite tant ramasser les miettes de son ami Henry, et ceux d'Elizabeth qui ressent l'absence d'Henry ainsi que les préoccupations scientifiques de ce dernier, comme une trahison implicite. Et puis le  metteur en scène a choisi des lieux (La tour délabrée où Henry se livre à des expériences, les décors de vieux château branlant, et le moulin final qui plaira tant à Tim Burton qu'il le citera le plus souvent possible), et a privilégié dans son découpage des scènes emblématiques qui vont lui permettre de jouer sur les nerfs. et puis surtout, il y a la scène hallucinante de la "naissance" du monstre, avec ses appareillages électriques, sa foudre, son attente sublime, et son couronnement d'un "It's alive" qui sera repris par tous les parodieurs de la planète... Une scène qui louche sérieusement du côté d'un autre film Allemand qu'on ne présente plus: Metropolis.

 

Le film aura comme chacun sait une suite, qui lui sera supérieure, mais reconnaissons à Frankenstein la place d'honneur: sorti en 1931, quelques mois après Dracula, le film semble avoir été tourné dix ans après tellement le metteur en scène a su éviter les écueils du début du parlant: une diction erratique, une pesanteur qui est due à l'absence de musique, et qui débouche sur de la lourdeur plutôt que de la tension, mais surtout Whale, un homosexuel militant, un intellectuel Anglais à Hollywood, a su mettre en question un thème qui taraude l'humanité, et agir en vrai rebelle, c'est-à-dire faire en sorte que le public s'identifie à celui qu'il aurait du rejeter, ce monstre sans parole, mais aux yeux avides de reconnaissance, et qui reviendra, on peut compter sur lui. Frankenstein a voulu jouer à Dieu, et comme Dieu, il a créé un monstre violent, aux passions irrésolues, et qui n'aura de cesse que de comprendre à quoi il sert. D'où la nécessité d'une vraie confrontation physique entre les deux hommes à la fin...

 

Oui, la question de la création hante ce film, et il la tourne, la retourne, et ne la lâche plus avant qu'elle ne finisse par nous éclabousser avec l'abusurdité même de l'existence. Comment voulez-vous après ça qu'on ne s'attache pas à un tel film?

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Pre-code James Whale