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15 décembre 2013 7 15 /12 /décembre /2013 13:44

Epopée imposante, marquée par le souffle et l'énergie communicative de son beau casting, Gangs of new York est un film un peu paradoxal, par bien des aspects. Projet de longue date d'un Martin Scorsese désireux de se frotter depuis toujours à des types de films apparemment hors de son canon (Et ils ont été nombreux depuis New York, New York!); le projet a eu des fortunes diverses, avant de se concrétiser sous l'impulsion de Miramax, qui ont poussé Scorsese à travailler avec des stars qu'on n'attendait pas, même si ce qu'on retient essentiellement de l'interprétation, c'est bien sûr la prestation fabuleuse de Daniel Day-Lewis, hallucinnant de bout en bout par sa justesse et la vivacité de sa création d'une brute magnifique. Et surtout, le film gagne en intensité par le fait qu'entretemps, la ville dont il nous conte une anecdote oubliée ait été la cible d'une attaque terroriste fortement médiatisée, qui a durablement changé notre façon de voir. Cette attaque est bien sur intervenue alors que le film était fini, ce qui ne doit pas être oublié, mais le rapport fascinant de Scorsese à sa ville, et à son pays d'une manière générale, n'en sont que plus évidemment justes.

C'est, en partie, cette justesse que le film transmet: Gangs of New York raconte en effet la vile d'avant la guerre de Sécession, un territoire déjà vaste, principale attraction de l'immigration de plus en plus massive, Babylone moderne dont les beaux quartiers et les ghettos ne se mélangent surtout pas. Il nous raconte aussi accessoirement, au milieu d'une guerre des gangs riche en anecdotes gouleyantes, en trahisons, filiations et stratégies, la montée d'un ras-le-bol de la population face à une guerre incomprise, qui va culminer en une semaine d'émeutes qui vont détruire des quartiers entiers, parmi les plus crapuleux de la ville. De fait, le mélange entre fiction et histoire est d'autant plus facile que dans le chaos des émeutes, une bonne part de la vérité historique a été tout bonnement perdue... Mais ces constatations ne font que renforcer une impression mitigée: ce film est aussi et surtout une somme de compromis, pour un réalisateur qui avait envie de voir aboutir coûte que coûte son projet.

On suit donc les aventures d'Amsterdam Vallon (Leonardo Di Caprio), le fils d'un immigré Irlandais qui est mort en défendant son territoire contre un chef de gang rival, Bill "Le boucher" Cutting (Day-Lewis). Lui et sa bande de 'natives' (Des Américains blancs 'de souche', comme on dit chez les obsédés de la race) cultivent le privilège de ce qu'ils estiment être une prérogative ethnique, celle d'être plus Américain que les autres. Particulièrement remontés, évidemment, contre les groupes d'immigrés les plus nombreux en ces années de famine en Irlande: les Irlandais au milieu du XIXe siècle étaient de loin les principaux arrivants. Les "natives"ont donc pris le contrôle des bas-fonds de la ville, et essaient à leur manière de construire une Amérique moderne, tout en se servant allègrement. Les deux hommes vont donc bien vite cohabiter, puis s'affronter, au milieu d'un tumulte grandissant.

Le film nait d'une violence terrifiante, lors d'une bataille qui surgit des profondeurs sales et enfouies des sous-sols des "five points", un endroit peu recommandable qui ne survivra pas aux émeutes. La bagarre ultra-violente est vue d'un petit garçon, le jeune Amsterdam qui va y être témoin de la mort de son père (Liam Neeson). Un début idéal, tragique voire biblique, qui trouvera de multiples échos dans le film, entre reconnaissance d'un héritage, besoin d'assouvir une vengeance, mais aussi transfert d'une paternité réelle (Neeson) vers une paternité symbolique (Day-Lewis). Scorsese utilise le moyen de la voix-off déjà si magnifiquement présentée dans Goodfellas, mais en ne s'attachant pas toujours à suivre le point de vue de Vallon. Les digressions historiques, journaux notamment, ou photographies de Matthew Brady intégrées ou non à la narration, pour permettre de rappeler le contexte brûlant de la guerre et de son effet sur une population de plus en plus prise en tenaille. Le film montre en particulier combien la politique de Lincoln (la guerre qui prenait les fils, mais aussi la mise à égalité des noirs et des blancs, très mal vécue) était loin de faire l'unanimité...

Mais au milieu de tout ça, Scorsese raconte à sa façon la "Naissance d'une nation", ou du moins d'une ville nouvelle. Reprendre le nom du film controversé de Griffith a du sens ici, puisque Scorsese en cite jusqu'à la structure, montrant au milieu du film une tentative d'assassinat en présence d'une effigie de Lincoln, dans un théâtre à l'imitation d'une séquence célèbre de The birth of a nation... Le rappel du cinéma antérieur, qui ne nous étonnera pas venant de Scorsese, est également complété par des allusions à Raoul Walsh (The bowery, Gentleman Jim). Scorsese s'est donc aussi fait plaisir, on ne s'en plaindra pas... Le grand regret, par contre, c'est que les frères Weinstein aient insisté pour que le montage de ce film soit plus serré, et qu'aucune version alternative plus longue n'ait été présentée au public; par moments, le découpage se ressent...

Fin d'une époque, aboutissement d'un projet de longue date, le film inaugure également une période durant laquelle Scorsese le touche-à-tout a été très fêté partout, présenté à Cannes, devenu en quelque sorte le porte-parole d'un certain cinéma de qualité. Cet aspect est également présent dans le film, avec la première interprétation de Di Caprio pour Scorsese, et bien sur Cameron Diaz. Il y a un côté grand film de luxe, qui nous perd parfois dans les méandres de ses 2h et 45 minutes, mais on est aussi devant un cinéaste qui réussit malgré tout à accomplir un projet personnel difficile en se renouvelant. et la suite sera passionnante, puisque Scorsese nous régalera avec The aviator, et The departed. La preuve que Di Caprio allait lui permettre de trouver du sang neuf. La preuve aussi que le vieux lion en encore pour une quatrième décennie des choses à dire... Et ce film le montre plus que tout autre, avec cette histoire de ville qui nait du chaos, replonge dans le chaos, pour mieux affronter les siècles.

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Published by François Massarelli - dans Martin Scorsese