Brando dans une comédie? Musicale, qui plus est? une idée de Goldwyn, qui n'en démordait pas. De même voulait-il Mankiewicz, encore auréolé du prestige du beau doublé de A letter to three wives et All about Eve. Si celui-ci avait des réticences, elles ont sans doute été balayées assez vite: d'une part, il était déja très impatient de tout essayer (Ce qui le conduira 15 ans plus tard à filmer un western, dont il disait à l'époque "On n'aura qu'à l'appeler 'Joe Mankiewicz's western'..."), et après Shakespeare avec Julius Caesar ou l'espionnage de Five fingers, il voulait sans doute imprimer sa marque dans le musical. Guys and dolls était donc un musical pré-existant, et garde dans sa version filmée des traces évidentes de cet aspect, c'est sans doute le seul autre rapprochement qu'on puisse faire avec Julius Caesar excepté la part de Mankiewicz et Brando dans les deux films... Contrairement à Caesar, Mankiewicz a néanmoins beaucoup ajouté à ce nouveau film, semble-t-il, retranchant avec la collaborations des concepteurs du spectacle des numéros musicaux, en ajoutant d'autres, plus faciles à faire passer dans un film, et essayant d'ajouter beaucoup de traits de personnalités aux personnages. C'est bien, et cela se sent sans doute, mais cela n'empêche pas ce musical de 150 minutes d'être parfois lourd, indigeste et même très occasionnellement irritant...
Sky Masterson et Nathan detroit sont les deux princes de l'entourloupe, du jeu et du pari à New-York, confrontés l'un et l'autre au choix entre l'amour et leur liberté liée aux activités frauduleuses pour ne pas dire illégales qui les font vivre (Et dont l'un comme l'autre assument les aspects quasi-philosophiques): Nathan Detroit (Frank Sinatra), organisateur de jeux clandestins poursuivi par un créancier chatouilleux de la gâchette et par un flic forcément Irlandais, en pince depuis 15 ans pour une danseuse, Adelaide (Vivian Blaine), et Sky (Marlon Brando) rencontre Sarah Brown (Jean Simmons), sergent dans l'armée du salut, à la faveur d'un pari, et tombe amoureux d'elle, au point de renoncer à sa passion pour le pari.
D'un coté, le pari de Goldwyn, de confier à des acteurs talentueux mais non chanteurs s'est avéré gagnant avec Brando et Simmons, les deux sont sinon excellents, en tout cas très bons. Jean Simmons en particulier est fantastique dans son rôle, et assume à merveille la transformation de la très rigoureuse Sarah en une amoureuse débridée, sous les effets de l'alcool dans la séquence cubaine. Les scènes entre les deux sont toutes excellentes et maintiennent l'intérêt parfois vacillant du spectateur pour ce long film... D'un autre côté Mankiewicz n'est pas Minnelli, ni Donen, et on le sent totalement extérieur à toutes les scènes dansées, qui reproduisent un peu platement le proscénium, et sentent le réchauffé, exécutées sans doute par les artistes de la pièce, tellement rodés que ça en devient mécanique. C'est le même problème qu'on a avec Vivian Blaine, qui en fait toujours trop, et dont le caricatural accent New-Yorkais est plus irritant qu'autre chose. Quant à Sinatra, il n'y a pas de problème avec son chant, bien sur, mais il est notoire qu'il voulait le rôle de Masterson, et que ses rapports avec Brando ont été plus que houleux. De fait, il ne semble pas l'homme du rôle pour son Nathan Detroit qui manque singulièrement de relief. Un comble finalement, que ce film ultra-New-Yorkais qui ait pu poser problème à ce New-Yorker militant qu'était Mankiewicz...
Ce film n'est pas un naufrage, c'est une demi-réussite. Il se laisse voir, mais la danse en boîte qui ouvre le film augure assez bien de l'impression d'un mélange qui ne se fait pas. On a des scènes brillantes, des dialogues plutôt bons (mais pas aussi incisifs que les dialogues habituels de Mankiewicz), et puis des moments de lourdeur, des séquences inutiles, dont une sous-intrigue gonflée pour allouer plus d'espace à Sinatra. Mankiewicz a tenté de faire de son mieux, ce n'est pas un cas de film alimentaire; mais si la fin du contrat Fox lui a donné une indépendance enviable, qui lui permet de voguer d'un studio à l'autre (MGM, Goldwyn) et de créer sa propre société (Figaro Inc, qui a produit The barefoot Contessa, et qui produira deux autres films, I want to live, de Robert Wise, et The Quiet American, le prochain Mankiewicz), il n'en est pas plus devenu omnipotent.