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  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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21 avril 2013 7 21 /04 /avril /2013 10:03

Le troisième film de John Ford en cette année 1928 est sans doute le plus noir de toute sa production muette, en même temps qu'un nouveau retour en Irlande, après The Shamrock Handicap et Mother Machree. Mais si l'Irlande de ses rêves, fantasmée et sublimée par la distance était aussi présente dans ses autres films par la présence de personnages-clichés de braves Irlandais cabochards et bagarreurs (George O'Brien dans Three Bad Men, The blue eagle), de vieux consommateurs de Whisky au coeur d'or (J. Farrell Mc Donald dans The Iron Horse), ici Ford plonge ses personnages au coeur du drame de l'Irlande, la lutte entre les oppresseurs et les opprimés... Lutte jamais identifiée par une date, c'est essentiellement une question d'atmosphère, un mot qui convient parfaitement à ce film hérité du style de photographie, de décoration et de composition que Ford a retiré des leçons de Murnau.

 

Victor McLaglen y incarne 'Citizen' Hogan, un soldat exilé qui revient en Irlande ou il est hors-la-loi (Pour son engagement politique contre la couronne, sans aucun doute) afin d'y tuer un homme, après avoir reçu un message dont la teneur restera longtemps énigmatique. On assiste donc à son arrivée, déguisé en moine, dans un conté dont l'ancien juge, le très sévère Baron O'Brien (Hobart Bosworth) apprend qu'il n'a plus qu'un mois à vivre. Hanté par les nombreuses morts qu'il a causées (On l'appelle "le Bourreau", the Hangman), il est obsédé par l'idée de 'placer' sa fille Connaught (June Collyer). Il ignore l'amour simple et pur que celle ci éprouve pour le jockey Dermot McDermot (Larry Kent), et veut la marier à John D'Arcy (Earle Foxe), identifié dès le départ comme un traître (il ne passe presque jamais de temps en Irlande, préférant voyager en Europe, et il vise une place à Londres...). Le soir du mariage, assailli par ses "victimes", le vieux juge décède, et D'Arcy veut comme de juste passer la nuit avec Connaught, mais celle-ci, aidée par les domestiques de la maison, se refuse. C'est dans ces circonstances que Hogan fait son apparition, et commence à tourmenter D'Arcy; on apprendra ensuite que celui-ci s'est marié en France avec sa soeur, et qu'elle est ensuite morte lorsque il l'a abandonnée...

Ford installe donc une intrigue assez compliquée, mais dont on constate qu'elle ne joue pas uniquement sur l'idée d'un "camp à choisir": Hogan et beaucoup de ses amis, les gens du village, sont tous des Républicains, et le héros n'a aucun mal à échapper jusqu'à un certain point à la police. Mais lorsque dénoncé par D'Arcy, il se fait arrêter, il n'oppose pas vraiment de résistance; d'une part il doit savoir qu'il s'évadera, et d'autre part les policiers sont des ennemis politiques certes, mais il sait qu'on peut parler avec eux: appréhendé durant une course de chevaux, il demande l'autorisation à l'officier d'assister à la fin de la course, faisant appel à ses sentiments avec un grand sourire comme seul McLaglen savait les faire... C'est d'ailleurs durant cette course qu'on apprend à quel point D'Arcy est infréquentable: il a parié contre son cheval, Le Barde. Lorsqu'il voit Dermot monter le cheval, ce qui n'était pas prévu, il sinsurge, puisqu'il ne peut pas perdre! il fait donc une scène à son épouse, et après la course, abat le cheval à bout portant, ce qui lui vaut l'inimitié de tous, Républicains comme Loyalistes!

 

D'un coté, un héros insaisissable, un homme perpétuellement en partance pour des ailleurs exotiques, qui incarne l'Irlandais exilé et romantique dont l'attachement au pays ne peut naître que d'une distance amenée par les péripéties, et de l'autre Dermot, un jeune homme du pays, aimé et soutenu de tous, qui de plus triomphe symboliquement de toutes les oppressions en gagnant une course avec l'appui de toute la population... au milieu, un homme menteur, manipulateur, buveur même, qui est symboliquement considéré comme le prolongement de l'âme noir et torturée du vieux juge: le visage du compromis, en quelque sorte! Le Juge était Irlandais, sa fille en témoigne, mais détesté par la population: D'Arcy ira plus loin encore, allant jusqu'à nier son appartenance à l'Irlande d'une part, et à se comporter d'une façon systématiquement méprisable d'autre part... Il périra dans les flammes du château du vieux juge, la fameuse Maison du Bourreau du titre, la séquence étonne par sa violence fascinée: Ford nous y montre l'homme aux abois qui tente de trouver une sortie par le balcon de la maison en flammes, avant de plonger dans le vide pour éviter les flammes; un suicide par défaut, aussi pragmatique et lâche finalement que pouvait l'être sa vie entière. De l'autre côté de l'étang, son épouse regarde sans broncher, et sait qu'au bout de la route elle sera libre de se marier avec Dermot.

Pour mettre en images cette complexe intrigue qui  joue beaucoup sur les contrastes entre sentiments et la dignité, Ford peut compter sur George Schneiderman, son complice depuis Just pals (1920), un maître en la matière qui a su accompagner l'évolution stylistique du metteur en scène. cette évolution est plutôt une adaptation qu'une réappropriation du style de Murnau, comme il est souvent dit: les intérieurs situés pour la plupart dans le château du vieux juge jouent plus sur l'impression d'isolement des personnages au milieu des vieilles pierres, que sur des dispositifs visuels complexes. C'est toutefois dans la vieille demeure que le premier acte de la confrontation entre Hogan et D'Arcy va se jouer: D'Arcy aperçoit par une fenêtre la figure fantômatique du 'moine', et prend peur: il vient de comprendre que Hogan est revenu en Irlande. Voilà qui va précipiter son alcoolisme!

Par ailleurs, le recours à des surimpressions pour mettre en images les tourments du jge peuvent étonner: on n'a pas l'habitude de voir Ford s'adonner à ce type d'expérience, tout comme sa visualisation de la mort du juge: le vieil homme vient de voir dans la cheminée les images des hommes qu'il a envoyé à la mort, et s'écroule sur son fauteuil: le plan devient flou...

Les deux complices se sont ingéniés à recréer dans les décors de la Fox (Là même ou les marais de Sunrise et de Four Sons, et sans doute le village de Mother Machree avaient été fabriqués!) une Irlande sublimée, à la brume omniprésente, un paysage rural dans lequel la vieille pierre se mélange à des collines qu'on imagine vertes... Peu de vrais extérieurs dans le film, la Fox laissait à cette évoque les cinéastes réinventer le monde à leur guise. Le résultat est proprement superbe! Les nuances de gris ainsi obtenues, mélangées au talent de Ford pour la composition permettent d'obtenir de beaux effets de chiaroscuro...

Le plus noir donc, des films "Irlandais" de Ford tournés su temps du muet, Hangman's house est du concentré de romantisme, qui nous éclaire sur le vrai lien de Ford à son vrai-faux pays (Il est né dans le Maine, après tout!): ce n'est pas tant dans la haine des Anglais et des protestants qu'il souhaite s'installer. La lutte politique existe, bien sûr, mais elle est considérée dans le film comme une lutte de bon aloi, une sorte de climat inévitable qui n'empêche pas le fair-play (McLaglen faisant appel aux sentiments de l'officier, et celui-ci acceptant de bonne grâce) voire les coïncidences de vue entre ennemis (Les Anglais sont aussi méprisants vis-à-vis de D'Arcy après son idée folle de tuer un cheval devant tout le monde, et tous refusent de lui serrer la main!). Ford oppose donc les hommes qui trichent, mentent et trahissent, et les idéaux romantique de Hogan, mais il ne manque pas l'occasion de nous dire que ni l'un ni l'autre ne trouveront jamais la possibilité de rester au pays: ils n'y ont pas leur place, l'un est exilé de fait et l'autre est persona non grata... L'Irlande, c'est le pays rêvé qui ne sera jamais atteint. Le chemin vers la plénitude de The Quiet Man est long, mais ce film est finalement aussi peu réaliste. Et Ford reviendra vers l'Irlande par son versant politique a deux reprises, pour deux films également noirs, mais très différents l'un de l'autre: The informer en 1935, et The plough and the stars en 1936.

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Published by François Massarelli - dans John Ford Muet 1928 *