Au moment de s'attaquer au dernier film de Clint Eastwood, il y a une foule de préjugés et d'appréhensions qui se mettent en route. L'an dernier, j'ai terminé en mars un cycle commencé en juin 2009, de tous ses films, vus dans l'ordre, et donc j'attends toute nouvelle de sa part avec une réelle impatience. Qui plus est, il a pris sa retraite en tant qu'acteur, et parmi ses films, ceux qu'il a signé en tant que metteur en scène sans apparaitre devant la caméra m'ont toujours été chers, surtout Bird, Breezy, The changeling, Midnight in the garden of good and evil et Mystic river... Enfin, cet "Hereafter" marque une double première fois pour Eastwood: premier film sur un sujet fantastique, premier film partiellement en Français. Mais d'autre part, les nouvelles du front n'étaient pas bonnes: à part Positif, peu suspect de toute façon d'animosité à l'égard du gentleman de Malpaso, toutes les critiques vues, lues, entendues (on ne va pas parler de la critique télévisuelle, il n'y en a pas) vont dans le même sens: bof!
Le film commence donc en Français, avec la vision paradisiaque d'une plage. Deux Français se réveillent, Marie Lelay (Journaliste et présentatrice à succès, interprétée par Cécile De France) et son patron, son amant aussi, ont pris du bon temps en Thaïlande, le jour d'un tsunami. Et justement, Marie se rend au marché au moment précis ou la vague s'abat sur le village, et il s'en faut de peu qu'elle y reste; mais, revenue à la vie grâce à deux hommes, elle en garde un souvenir, celui d'une impression d'avoir visité l'au-delà. On passe ensuite à San Francisco, où l'on fait la connaissance de George (Matt Damon), un médium qui a tourné la page, et que son frère cherche à remettre dans le circuit; avec réticences, George accepte de "lire" un client pour lui, mais souhaite que ce soit la dernière fois... Il souffre de sa condition surnaturelle, et veut qu'on l'oublie. Enfin, à Londres, on fait la connaissance de Marcus et Jason, deux jumeaux préoccupés par leur mère, "single parent" héroïnomane et alcoolique, qu'ils voudraient aider à se sortir de sa situtaion, d'autant que les services sociaux menacent. Hélas, en allant chercher des médicaments pour une ordonnance, Jason harcelé par des jeunes voyous est fauché par un camion. Marcus ne s'en remet pas...
Le passage sur cette terre, thème éminemment Eastwoodien, à condition qu'il parle de ce qu'on laisse à nos enfants et à nos élèves, est ici vu d'un nouveau point de vue: d'une part, certains personnages (George, reconverti en ouvrier, et qui tente de se lancer dans des cours de cuisine, peut-être pour favoriser les rencontres, Marie qui remet son métier en question, ainsi que ses activités de journaliste politique afin de parler de son expérience) se posent des questions sur le rôle à assumer désormais, sur ce qu'ils doivent faire et dire afin d'être utile. Le plus intéressant à ce niveau est George, qui à bien des égards est en pleine errance, et se cherche. Mais le thème est aussi évoqué dans ce film à l'inverse des habitudes de Clint Eastwood, au lieu de parler de celui qui cherche à faire passer quelques chose (Invictus, Gran Torino, Honky Tonk Man, ...), c'est tout à coup le point de vue de ceux qui cherchent à entrer en contact avec ceux qui sont partis. A part dans The changeling, on n'a jamais vu cette vision des choses chez Eastwood, et peut-être le désespoir et la hantise du passé qui envahissent Mystic River y sont-ils assimilables. Mais le cinéma de Clint Eastwood, en revanche, fourmille de redresseurs de torts plus ou moins symboliques, de gens qui remmettent le cosmos en place, du "pale rider" à William Munny (Unforgiven). George a-t-il sa place dans cette vision? Peut-être, et Marie Lelay, qui est un succès de librairie une fois qu'elle a fini son livre sur son expérience paranormale, aussi. Mais le film reste vague, il n'est une fois de plus pas là pour nous donner des leçons...
La ou le bât blesse, ce n'est pas dans l'intrusion du fantastique, amené avec dignité et respect pour le spectateur; ce n'est pas non plus dans l'incursion dans le spectaculaire, un tsunami, un métro qui explose, un enfant qui se fait percuter, trois évènements décrits crûment, mais sans aucune complaisance, ni suspense préalable. Pour moi le problème n'est pas dans les histoires elle-même, encore que l'histoire Française soit légère et rendue irritante par des acteurs qui récitent leur texte (2 prises, on est chez Eastwood, et celui-ci n'entend peut-être pas suffisamment notre langue pour s'apercevoir que Cécile de France et ses copains jouent comme des pieds. Désolé, mais c'est vrai.). Non, le principal problème de ce film choral est de faire comme les autres films du genre: construire plusieurs histoires, les entremêler pour en rirer tous les bénéfices quand on mélange tout, et les scènes ou les trois histoires se mélangent à la faveur d'un salon Londonien du livre sont d'une grande platitude, et personne n'a rien fait pour les améliorer: George est à Londres pour fuir San Francisco, et visiter la ville de Dickens dont il est un grand fan. Venu entendre Derek Jacobi lire du Dickens, il entend vaguement Marie parler, et de son coté le petit Jason qui passait pas là, a vu George qu'il connait pour avoir vu sa tête sur son site internet... On a envie de rigoler. Le film a tendance à se casser la figure, et bien sur si on était de mauvaise foi, on dirait que c'est la faute au scénariste, mais chacun sait qu'un scénario, ça se change...
On retrouve Eastwood dans l'ironie à l'égard des religions d'un coté et du charlatanisme de l'autre, et il est toujours bon par les temps qui courent d'avoir face à soi un film qui dise du mal des religions, toutes les religions, au moins, on n'aura pas perdu son temps. On apprécie les échanges entre Jason et George, d'ailleurs traités par Eastwood dans le même style que toutes les scènes avec George: dans la pénombre. Matt Damon est splendide, comme d'habitude, et sa rencontre avec Bryce Dallas Howard, lors de scènes de relâchement qui nous feraient presque croire à une comédie sentimentale, fait qu'on reviendra tout de même au film un jour ou l'autre. Mais le film a un pedigree mal fichu: est-ce que parce que Malpaso n'est pas impliqué? C'est un film Amblin (La maison de Steven Spielberg) et Warner, et on ne peut que penser que si ce film a été un projet de Spielberg, il lui aurait mieux convenu... Jusque dans la multiplication des lieux de tournage. On râle un peu, mais on ira de toute façon voir le prochain...