Dans ce qui est depuis sa sortie considéré comme l'un des films majeurs de la comédie Américaine (Essentiellement dans le genre qu'on a baptisé screwball comedy, mais le film déborde sur le territoire de plusieurs genres et ne saurait être réduit à quelque chose d'aussi simple), on assiste héberlués à un match de haute volée entre deux comédiens au sommet de leur art: Cary Grant y interprète Walter Burns, le cynique patron de presse qui cherche à ne surtout pas laisser filer une journaliste qui lui est chère, et Rosalind Russel est la journaliste en question, désireuse de se marier avec un homme étranger au monde la presse (Ralph Bellamy) afin d'échapper à un univers dans lequel elle s'est brulé les ailes, à force de tout mélanger: son métier, pour lequel elle est sacrément douée, et sa vie sentimentale... En effet, elle a commis une erreur: elle a laissé son patron la demander en mariage, s'est laissée dire oui, et a vécu dès le départ un enfer domestique, dont elle a réussi à sortir par un divorce désormais consommé... Mais elle n'a pas choisi le bon jour pour venir dire adieu à son patron, puisque c'est la veille de l'exécution d'Earl Williams (John Qualen), un homme dont le monde entier est persuadé qu'il a tué un policier par folie plus que par anarchisme, et Burns a besoin d'un journaliste pour couvrir l'événement. Les autorités sont plutôt chatouilleuses sur le sujet puisque le maire de la ville compte sur l'exécution pour redorer son blason auprès des électeurs. Et de ce côté, les choses vont se précipiter, tandis que Burns va tout faire, mais alors tout, pour retenir Hildy Johnson, la femme qu'il aime, et qui est sa meilleure journaliste. D'ailleurs, celle-ci veut-elle vraiment partir?
La première version du film, réalisée par Lewis Milestone en 1931, était titrée The front page, du nom de la pièce adaptée. Howard Hughes et Lewis Milestone sont entrés dans l'histoire en créant le prototype du film de journalistes, grâce au texte de Ben Hecht et Charles McArthur, qui jetait les bases d'un univers de journalistes fait de verbe haut, rapide, et propice aux échanges savoureux... On notera qu'un carton d'introduction dans le film de Hawks rend indirectement hommage à la pièce et au film initial en parlant d'une éautre époque, avant de situer le film fermement dans la fin des années 30. Mais ce qui vient différencier la version de Hawks de la version de Milestone, ainsi que de celle de Wilder (1974), c'est bien sur l'idée de génie (Le script est du à Charles Lederer), qui consiste à faire de Burns et Johnson un couple: dans la pièce et les deux autres films, Hildy est un homme, et la relation fusionnelle entre rédacteur et journaliste est strictement professionnelle... Le match fabuleux entre Russell et Grant, joué au détriment de Bellamy essentiellement (Il fallait un certain sens du sacrifice pour jouer Bruce Baldwin!) électrise le film un peu plus, allant au-delà même des hauteurs atteintes par l'intrigue liée à l'interview, puis l'évasion d'un condamné à mort. La réflexion perpétuelle sur le travail pris sous son aspect quotidien, inhérente à la thématique personnelle de Hawks, s'effectue ici dans un univers qui marche quatre fois plus vite que d'habitude, ce dont le montage ultra-serré rend compte de façon impressionnante, et seule une scène échappe à la comédie franche, mettant en scène une jeune femme un peu folle elle aussi, qui a décidé de tout faire pour sauver Earl Williams, et se jette d'une fenêtre de la salle de presse afin de détourner l'attention d'un meuble dans lequel le condamné à mort s'est caché. L'espace d'un instant, le film s'arrête, la comédie se calme... avant de reprendre ses droits. Mais c'est ça la grande force de ce film justement: le monde parfois hilarant, parfois odieux, constamment électrique qu'il dépeint, c'est la vie d'un métier, l'essence de la presse Américaine. Un métier qui colle aux semelles de ceux qui le pratiquent, et ils ne le quitteront jamais, pas plus Hildy que n'importe lequel de ses collègues, quelles que soient les manoeuvres les plus lamentables d'un Burns. Et le film se dépare de la comédie Américaine, notamment du style de Bringing up baby (Dont la situation du personnage interprété par Grant est d'ailleurs inversée dans ce film, puisqu'il assume le pouvoir de nuisance en pilotage automatique qui était l'apanage de Katharine Hepburn): si la folie est parfois de la partie (Notamment à travers ce pauvre earl Williams et sa petite amie Molly), le monde des journalistes qui nous est montré est faut de gens qui ont, quoi qu'il arrive, les pieds sur terre...
Un dernier mot, au sujet de ce titre étrange qui a l'air de tant coincer l'imagination des traducteurs Français: en Anglais, le compagnon-esclave-homme à tout faire de Robinson Crusoë est nommé Man-Friday, ce que nos compatriotes ont traduit en Vendredi. Hildy Johnson, compagne éternelle de son patron Walter Burns, est quant à elle sa Girl-Friday, son alter ego oui, mais taillable et corvéable à merci, qui donc se doit de rester dans son giron s'il veut continuer à fonctionner. Et nos traducteurs, perplexes, ont traduit celà par La dame du vendredi. C'est merveilleux...
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