Si on ne connaissait pas aussi bien qu'on les connait les films de John ford, on pourrait assez facilement ne voir dans ce film qu'un superbe attrape-Oscars... Une oeuvre calibrée à l'extrême, donc. Mais d'une part, il suffit de comparer avec You can't take it with you (Capra, 1938), Gone with the wind (Victor Fleming, 1939), et Rebecca (Hitchcock, 1940), ses trois prédecesseurs à avoir obtenu l'Oscar du meilleur film, pour constater que le sentimentalisme du film de Ford n'est présent sous aucune forme, dans aucun des trois. Et il suffit de voir The Quiet man, She wore a yellow ribbon, The searchers, Cheyenne autumn... ce sentimentalisme, Ford n'avait nullement besoin de le forcer: il était naturel... d'une certaine façon, il était un des ingrédients de ce que le cinéma de John Ford était. How green was my valley, gros film Fox prévu pour William Wyler, n'était d'aileurs pas un film très personnel pour celui qui l'aura finalement réalisé, ce n'est pas non plus un film majeur. C'est juste une merveille accessoire, une luxueuse preuve de son savoir faire, et un film dans lequel il a semble-t-il dressé une sorte de vitrine de son style pictural... Autant de raisons d'y puiser avec bonheur, finalement...
Adapté d'un roman du Gallois Richard Llewellyn, le film peut sans trop de problèmes êrte associé à ces films Irlandais auxquels Ford est toujours revenu ça et là, depuis les années 20 jusqu'aux années 50. Pourtant, il est situé en plein sud du Pays de galles, cette merveilleuse contrée, dans la vallée de Rhondda, soit en plein pays minier. ...reconstitué aux studios Fox, en utilisant en particulier un décor de village passe-partout qui avait été édifié pour Four sons, du même John Ford, en 1927 (Et qui était supposé figurer un village Allemand...). Il nous conte les mésaventures d'une famille de mineurs, les Morgan; le père (Donald crisp) et la mère (Sara Allgood) ont eu sept enfants: cinq grands gaillards, tous devenus mineurs avec leur père; la jolie Angharad (Maureen O'Hara), et le petit Huw ((Roddy McDowall). Nous suivons leur vie, de mariages en célébrations, de décisions lourdes de conséquences (Grève, exil) en deuils, et on se concentre en particulier sur deux personnages: le petit Huw, narrateur, qui va avoir une chance considérable, celle de pouvoir faire des études, mais préfèrera suivre son père dans la mine, comme l'ont fait ses cinq frères; et Angharad, qui aime le pasteur Gruffydd (Walter Pidgeon), mais se verra obligée de se marier avec le fils du propriétaire de la mine, parce que Gruffydd n'a aucun avenir à lui apporter... Ce ne sera pas un mariage heureux. Enfin, le personnage principal, en creux bien sur, c'est le père Gwilym Morgan, un rôle puissant et taillé sur mesure pour Crisp.
Si on accepte de suivre Ford dans son obsession de rendre tangible les liens tissés entre les différents membres d'une communauté en truffant le film de chansons issues du folklore local, interprétées de façon souvent trop orthodoxe pour être honnête, on acceptera aussi de le suivre dans cette évocation poignante, qui à l'instar d'autres films Fox majeurs de ces années 40 (Grapes of wrath, Ox-Bow incident) sait ne pas se voiler la face devant des problèmes que nous qualifierons de sociaux. Ford, qui a toujours prétendu être un Républicain invétéré, n'a jamais caché ses sympathies à l'égard d'une société d'entr'aide, et le mot de socialisme est prononcé dans le film... C'est indissociable de l'histoire de ces mines, dont les ouvriers étaient en proie à un système qui les tuait, en les payant toujours moins. Cette spéculation sur la misère du plus grand nombre est au menu de ce film. un autre aspect qui apparait clairement, c'est l'appropriation de cette histoire de protestants assez rigoureux, vue au travers du Catholicisme de Ford: Angharad s'élève en pleine chapelle contre l'ostracisme dont a souffert une femme, fille-mère... Son indignation, celle de Ford, est immanquablement partagée par le public.
L'aspect le plus fascinant du film reste cette impeccable style visuel, fait d'un sens de la composition qui laisse pantois, d'autant que Ford était un rapide, comme chacun sait. Cette faculté à faire dire à l'image dix fois, cent fois plus de choses que ce qu'elle raconte: ces portraits de femmes dans l'entrebaillure de la porte (Une porte ouverte dans un film de Ford a toujours été riche de sens, et ce dès Straight shootin'!), exprimant le plus souvent une inquiétude de groupe. Ces vieilles femmes silencieuses (Dont Mae Marsh) devant leurs maisons, symboles d'une humanité toujours debout dans la souffrance, ou encore cette pieta à la fin du film, avec Donald crisp, Walter Pidgeon et Roddy McDowall. Ford savait plus que tout résumer les sentiments à travers les images et la position de ses interprètes. mais ici, il est aussi aidé par deux acteurs qui travaillent pour la première fois avec lui. Roddy McDowall, génial de bout en bout, qui ne tournera plus jamais pour Ford, et bien sur Maureen O'Hara, qui elle aura d'autres occasions de briller dans ses films. La façon dont Ford filme son mariage, lui demandant d'être aussi neutre que possible, laissant le soin à son voile de mariée de symboliser toute la misère du monde, est l'une des mille et une idées graphiques géniales d'un film qui a bien mérité son Oscar, même si ce n'est en rien le meilleur film de Ford...