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"Je sais ou je vais", affirme de façon péremptoire l'héroïne de ce film, qui tient autant du conte que du voyage initiatique, de la comédie romantique que du fantastique. Les personnages bardés de certitude, chez Michael Powell, on en rencontre beaucoup, de l'impayable Colonel Blimp à Lermontov (The red shoes). les autres personnages, ceux qui s'en vont chercher quelque chose, quelque fois loin, et qui le trouvent parfois, sont aussi légion, il suffit de voir Black Narcissus, A matter of life and death, Age of consent, A Canterbury tale voire le moyen They're a weird mob pour s'en convaincre. La rencontre maintenant entre un univers cohérent, microcosmique, et le spectateur, qu'il y ait un personnage qui serve de passeur (Tous les simples soldats Allemands dans 49th Parallel, James Mason pour Age of consent, Deborah Kerr pour Black Narcissus, par exemple) ou non (The edge of the world) est aussi un motif fréquent. Ces trois tendances se retrouvent dans ce beau film, l'un des meilleurs, et les plus aboutis du duo magique Powell-Pressburger...
Ceux-ci ont résolu de commencer le film de façon extravagante, par un prologue qui nous fait attendre une comédie de caractères. C'est un trompe-l'oeil, relayé par un générique génial, fait de vignettes sur la vie du personnage principal, qu'on voit bébé, puis fillette, puis adolescente, dans son environnement, accompagnée d'une voix off qui nous donne un renseignement de choix: elle a un caractère bien trempé, et elle sait ce qu'elle veut, et bien sur, "ou elle va". Ces vignettes sont entrecoupées de plans d'objets, véhicules, affiches sur les murs, qui forment des transitions entre les plans, et contiennent les crédits du générique. Le rythme, le ton, tout donne en effet l'impression d'un film léger, citadin même, ce que semble confirmer la première bobine: très découpée, la séquence concerne une conversation dans laquelle Joan webster (Wendy Hillyer) assène sa dernière décision à son père, dans un restaurant ou ils se sont donnés rendez-vous: elle va se marier avec un homme riche, et part en Ecosse pour ce faire. tout est arrangé. le père se désespère, accuse le coup: il connait sa fille... ensuite, elle part, et le voyage en train est l'occasion pour Powell et Pressburger de nous montrer la jeune femme en proie à une rêverie Disneyienne dans son compartiment... Mais le passage du train, parti de Manchester, vers l'Ecosse, est aussi le signal d'un changement radical dans le film; le montage se calme, l'univers peint par les cinéastes a changé, le personnage aussi, mais elle ne le sait pas encore: au nord de l'Ecosse, coincée à terre en attendant que le temps change et que le bateau l'emmêne vers l'ile habitée par son futur mari, qu'elle n'aime pas, elle ne sait pas qu'elle n'aboutira pas au bout de ce voyage-ci. Un homme, interprété par Roger Livesey (Colonel Blimp), un paysage magnifique, et des fantômes venus du passé, des traditions folkloriques et des légendes ancestrales, vont la faire changer d'avis, bien malgré elle...
Comme dans The edge of the world, le magnifique film-matrice par lequel Michael Powell a radicalement changé son cinéma en 1937, celui-ci est donc situé en Ecosse. mais là ou le film de 1937, sous une influence presque Flahertyenne, s'attachait à montrer la misère et la fin d'un monde, celui-ci nous plonge dans une Ecosse qui résiste à tout: à l'invasion Anglaise, à la misère, au déplacement forcé de la population (des protagonistes sont entre deux missions pour la guerre, par exemple); une Ecosse ouverte exubérante, dans laquelle le gaëlique envahit le langage, et les traditions et croyances perdurent ainsi que la soif de les partager. En somme, un pays qui a résisté au temps comme la région de canterbury dans A Canterbury tale... Mais il s'agit de peindre l'amour, dans une optique Britannique. une fois de plus, Powell fait mentir le méchant Truffaut en montrant qu'on peut effectivement montrer des personnages très Britanniques en proie à l'amour, et à ce titre, Joan est Anglaise, très Anglaise: lorsqu'on lui fait la remarque qu'elle est très "comme il faut" ("Proper"), elle assume: "Je prends ça pour un compliment". Mais ce n'est pas péjoratif, justement; en effet, sous l'emprise de la région, elle saura voir la beauté, contrairement à d'autres "colons" Anglais, et ira jusqu'à reconnaitre ses torts... La passion de Joan et Torquil, exprimée au travers d'un regard, n'attend pas très longtemps, elle nous explose au visage, à travers la tension amenée par les acteurs, Roger Livesey et Wendy Hillyer. Les excentriques qui les entourent, tous attachants, fournissent un brin de comédie, mais la façon dont Powell mobilise les vieilles pierres et la nature, aussi bien accueillante que rageuse (Le tumulte dun ruisseau en crue qui empêche le silence de respecter les conversations téléphonique dans la cabine téléphonique la plus mal placée du Royaume-uni, ou le bruit incessant du tourbillon, symbolique des passions, n'en doutons pas, qui menacent d'engloutir l'écervelée Anglaise et l'homme auquel elle essaie de résister) est une fois de plus superbe. Largement tourné sur place, dans des conditions qu'on devine difficile même si elles furent certes moins spartiates que The edge of the world, le film bénéficie aussi d'un montage serré et qui sait laisser leur place aussi bien au lyrisme, à l'exubérance (le cinéma de Powell est l'un des plus énergiques du monde!), qu'à une certaine mélancolie contemplative...
Et en plus, après l'irruption miraculeuse de trois joueurs de cornemuse, la plus jolie des fins vient dessiner un dernier sourire au visage des spectateurs, qui ne sont pas habitués à ce que ce genre de passion finisse... bien.