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1 mars 2012 4 01 /03 /mars /2012 07:18

Il y eut un temps, appelons-le les années 60, durant lequel le cinéma mutait de façon bien étrange. D'une part, le système industriel entier et son fonctionnement était remis en question par des franc-tireurs, dans de nombreux pays, dont certains allaient devenir de nouveaux gourous et changer pour toujours la façon de faire.

D'autre part, les fondations même d'Hollywood vacillaient, attaquées par la décrépitude des studios d'un coté, et la concurrence de la télévision de l'autre.

C'est exactement au milieu de cette pagaille que se situe l'arrivée de ce film, un OVNI comme il en existe peu. Pour bien comprendre l'existence de cette étrange comédie, il faut d'une part considérer la personnalité hors-norme de son réalisateur-producteur: Stanley Kramer est un ambitieux, un accumulateur de projets fous qui tient en son contrôle tous les aspects du film, une sorte de retour aux années 20, avant l'âge des studios donc, à lui tout seul, et un showman qui a compris, à la suite de Cecil B. DeMille mais dans un genre bien remis à jour, que si la qualité des films doit rester importante, si un grand sujet (Peine de mort, les prisons, le racisme, tout y passe) s'impose, il faut aussi et surtout du spectacle. Rien d'illégitime là-dedans...

Mais il va commettre une série d'erreurs fatales.

La comédie Américaine, tradition enviable, dont les plus belles pages sont écrites depuis les années 20, est un monde à part entière, une galaxie même, dont Stanley Kramer a voulu s'approcher, avec une idée folle, à tous les sens du terme: réaliser une comédie si énorme, si spectaculaire, qu'elle éclipserait bientôt toutes les autres... Pour ce faire, il a réuni un casting de comédiens chevronnés, trouvé une idée de scénario, lancé un film avec une équipe de solides techniciens, engagé des armées de cascadeurs.... et trouvé deux gimmicks inattendus, qui vont vendre le film à eux seuls: d'une part, c'est une comédie, on va donc inviter des comédiens à faire des apparitions tout au long du film; ensuite, puisque la télévision est là, et propose déjà de la comédie, pour lui faire concurrence on va donner du grain à moudre au public: le film va durer près de trois heures, façon gros spectacle à la Cinérama... Avec ouverture, entr'acte, conclusion en musique. Le scénario va reposer sur une intrigue autour d'une chasse au trésor en une journée, et le tour est joué... Le résultat donne un film dont le résumé est un texte dans lequel un mot sur deux est un nom entre parenthèses...

Un malfrat tout juste sorti de prison (Jimmy Durante) crashe sa voiture lors d'une poursuite, sur une route de Californie. Sont témoins de ses derniers instants un groupe de personnes, qui roulaient dans quatre voitures différentes (Milton Berle, Mickey Rooney, Sid Caesar, Edie Adams, Ethel Merman, Jonathan Winters, Buddy Hackett, Dorothy Provine). Ils apprennent de la bouche du mourant que celui-ci a enterré dans un parc de Santa Rosita une fortune, et qu'il leur suffit d'aller la collecter: elle est enterrée "sous un grand W". Très vite, les huit protagonistes vont devenir des concurrents afin de mettre la main sur le magot. La police les surveille, sous la direction du capitaine de Santa Rosita, Culpeper (Spencer Tracy), et d'autres personnes viennent s'ajouter au groupe de huit, au hasard des péripéties: Terry thomas, Peter Falk, Eddie Rochester Anderson, etc... De l'ambition, des poursuites en voiture, des cascades...

Après tout, il faut voir grand, et on ne fait pas de cinéma sans vouloir faire que les films qu'on réalise soient bons... Et cette politique de l'excès est en phase avec l'histoire d'un genre dont les meilleurs représentants ont toujours voulu parfaire leur art, aller plus loin donc. Et avec l'apparition des films de Billy Wilder, après ceux de Capra, la comédie est devenue de plus en plus ambitieuse; un genre dont bien des films tournaient deux décennies auparavant autour d'une heure voit désormais des films imposant de plus de deux heures, donc la durée importante de ce nouveau film n'est pas là non plus une idée trop étrange. Quant au "toujours plus" qui consiste à ajouter à l'intrigue des gags liés à l'apparition express de vedettes (Jerry Lewis, Buster Keaton, Les trois Stooges...), c'est là encore de bonne guerre...

Mais de toute façon, le film est raté; parfois drôle, toujours distrayant, mais trop long, ne tenant qu'à un fil ténu qui s'émousse vite, et surtout, gâché par la règle du toujours plus, qui a poussé le réalisateur à demander à ses acteurs un jeu hystérique de la première à la dernière minute. De plus, si c'est effectivement, assez drôle parfois, l'ensemble est dominé par l'impression que toute subtilité psychologique doit être bannie, et me donne le sentiment que Kramer n'a pas compris ce qu'était la comédie. Bien sûr, il y a des moments de grâce ça et là, et des apparitions qui touchent au sublime; d'autres sont juste émouvantes: Keaton, par exemple, qui réussit en quelques secondes à exprimer tout le ressenti de sa présence en déclamant un évident "qu'est-ce que je fais là?" rien qu'avec son corps et ses mouvements gauches... Et puis quelle idée de vouloir refaire Intolerance (Chacun des équipages de témoins de la mort de Durante ayant finalement sa propre histoire, découpée en épisodes reliés par le montage) en comédie? Qui plus est, et là tout le monde est d'accord, tout ça est bien trop long.

Ce film est finalement un signe des temps, une erreur de la nature... Quoique... Il me semble qu'il a eu une descendance: à l'époque, le film de guerre avait un équivalent, avec The longest day. Il y allait avoir How the west was won, bientôt aussi;  le film énorme avec pléiade de figurants et "cameos" était de rigueur... Donc à la suite de celui ci, la Fox a décoché son Those magnificent men in their flying machines, et Blake Edwards a réalisé son propre hommage au genre, The great race. Mais en ce qui concerne ce dernier, très réussi, c'est un orfèvre qui l'a fait, un spécialiste.

Pas celui-ci.

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Published by François Massarelli - dans Comédie Filmouth Criterion Edward Everett Horton