Des pieds et des mains (Gaston Ravel, Jacques Feyder, 1916)
Feyder n'était qu'assistant de Ravel quand ce curieux film a été mis en chantier, mais c'est lui qui l'a terminé, sans pour autant en être crédité. C'est une expérience, plutôt réussie: tout y est vu par des plans des membres, on ne verra les visages des protagonistes qu'à la toute fin du film, qui conte la cour empressée qu'un homme (André Roanne) fait à une femme (Kitty Hott) dont il est éperdument amoureux; en particulier, un épisode montre le sauvetage de la jeune femme alors qu'un 'apache' (Comme on disait alors à Paris) s'est introduit chez elle pour lui voler ses bijoux. L'utilisation des mains et des jambes exclusivement conditionne le film a développer un sens du geste parfait, et les acteurs s'en sortent plutôt bien. Feyder a bien sur tourné un film sur le principe contraire avec Têtes de femmes, femmes de tête.
Têtes de femmes, femmes de tête (1916)
Une femme trompée (Kitty Hott) se plaint auprès de sa sœur (Suzanne Delvé), qui imagine un stratagème pour faire revenir le mari (André Roanne) dans le droit chemin, et ce malgré l’attraction particulièrement forte de la princesse Orazzi (Georgette Faraboni)…
Ce film de trois bobines est d’une ambition rare, et sans doute annonciateur d’une volonté de faire évoluer le cinéma hors des sentiers battus, et hors des canons de la Gaumont, la compagnie qui l’a produit. Feyder a tourné le film d’après un scénario de comédie boulevardière assez classique signé de Gaston Ravel, mais qu’il a filmé délibérément en plans rapprochés et en gros plans. Il en résulte une comédie qui s’attache aux personnages, les découvrant incidemment dans leur environnement. Le titre est une allusion au fait que les personnages ne sont jamais vus en pied, justement, contrairement à l’usage de plans généraux utilisés en priorité à des fins d’exposition. Le recours à des miroirs, à des caches (Un paravent derrière lequel Roanne subit une consultation médicale, seule sa tête dépassant), à la vue subjective d’une loge de théâtre vue à travers les jumelles de l’héroïne, tout concourt à isoler les têtes des protagonistes dans le champ afin d’offrir une série de variations sur le titre. Mais surtout, les acteurs ainsi approchés, enserrés dans un cadre qui limite leur action, trouvent une subtilité qui est très rafraîchissante. Il est dommage qu’on n’ait pas laissé Feyder réaliser beaucoup d’autres films dans ce genre à La Gaumont…
Un conseil d’ami (1916)
Un violoniste virtuose se plaint auprès d’un ami à lui de ne pas être capable de s’ouvrir à la société, et en particulier d’être un empoté auprès des femmes. Il fait la rencontre d’une jeune Américaine dont il tombe instantanément amoureux, mais sous le conseil de son ami, décide de devenir sportif… Cela ne va pas aller dans le sens qu’il voudrait.
C’est au début de sa carrière, à l’époque de son contrat avec Gaumont, que Feyder a réalisé (et écrit) ce petit film, une comédie légère qui ne se prive pas d’adopter le ton délicat d’une intrigue sentimentale, avec son héros trop inepte pour convaincre… C’est assez subtil, bien réalisé, très différent de Feuillade, mais pas non plus une imitation de l’autre grand nom du cinéma Français alors en grâce chez Gaumont, le grand Léonce Perret. Alors que Feyder était souvent amené à réaliser des films qu’il n’avait pas envie de faire, ce court métrage interprété avec justesse montre assez bien quelles pouvaient être ses ambitions… Le film place ses personnages dans un environnement bourgeois qui est un héritage de la Belle Epoque, et leurs activités citadines (Sorties mondaines, sports…) sont sans doute fort modernes pour leur époque.
Biscot se trompe d’étage (1916)
Un homme saoul rentre chez lui, et entre dans tous les appartements, étage après étage . Partout, il est confronté à l’inexorable conclusion qu’il n’est pas chez lui, dérangeant occasionnellement d’autres personnes, dont un cambrioleur occupé à dévaliser son appartement, ce qui le pousse à s’excuser avant de sortir de chez lui pour continuer sa quête…
Si on veut savoir ce qui ne tournait pas rond avec les films que Feyder exécutait en râlant lors de ses débuts chez Gaumont, il suffit de voir ce petit film burlesque, qui malgré ses quinze minutes, semble durer une éternité. On remarque le coté adulte voire salace du scénario, qui nous permet d’assister au couchée de la jeune mariée, avec moult détails (Un intertitre attribue à la tremblotante dame une requête auprès de son mari, dont elle ne voulait pas qu’il allume la lumière), dont bien sur l’abominable constat : au moment ou commence cette nuit de noce, il y a un homme saoul dans leur lit ! Clairement, Jacques Feyder avait bien mieux à faire que ce genre de pochade.