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22 décembre 2011 4 22 /12 /décembre /2011 17:48

Film de la décennie? King Kong est, à tous points de vue, un miracle. D'une part, il est le symbole d'un cinéma Américain qui relève la tête, en pleine crise mondiale, en proposant un spectacle de plus d'une heure et demie, planifié et accompli trois années durant par des artistes et des techniciens au sommet de leur art; ensuite, il représente une rareté (pas absolue, il y a d'autres exemples, mais sont ils aussi flamboyants?): un film fantastique qui ne repose sur aucun texte, aucune légende, aucun précédent, et qui va générer un mythe encore valide aujourd'hui, comme le prouve la bonne tenue du remake du fan Peter Jackson; enfin, il est un autoportrait de Merian C. Cooper (Carl Denham) doublé d'une allégorie sur l'homme et la nature, dont la structure est absolument parfaite; l'intrigue avance à un rythme soutenu, et fonctionne malgré les visions répétées. Et en prime, le film offre une vision frontale de la crise dès ses premières 10 minutes! Une accumulation de performances, qui sont à trouver dans l'excellence technique de l'animation et des effets spéciaux, tous accomplis avec maestria. N'oublions pas la beauté de la musique de Max Steiner, qui sait accompagner l'inquiétude des personnages et générer l'angoisse du spectateur lorsque celui-ci ne sait pas encore ce qu'il va voir (L'avancée du S.S. Venture à travers le brouillard, par exemple, à l'aproche de l'île), amplifier l'impression d'horreur baroque (Lorsque les indigènes de l'île donnent Fay Wray-Ann Darrow à Kong, Steiner soutient, prolonge le rythme des tambours) et passer au point de vue de Kong, lorsque la musique des indigènes s'arrête, la partition de Steiner l'accompagne en se substituant au bruitage du monstre!

Voilà, tout ce préambule pour énoncer des évidences: King Kong est un chef d'oeuvre, et bien sur il date de 1933, et donc la vision des indigènes de l'île y est volontiers caricaturale. Sauf que... On a beaucoup parlé des séquences disparues du film, et de celles qui ont été retrouvées. On sait que la version actuellement disponible contient tout ce que Cooper a voulu laisser dans le film (Il semble que la fameuse scène des araignées ait été enlevée avant la première par les auteurs, qui trouvaient qu'elle ralentissait le film. Sorry, Peter Jackson!!); mais parmi les scènes longtemps censurées, il y avait d'une part les séquences à connotation sexuelle, et d'autre part les bribes d'une scène de massacre, lorsque Kong dépasse le mur et commence à tout casser et à tout tuer, avec une certaine cruauté, dans le village de ses adorateurs. Mais cette scène certes cruelle mais indispensable trouve un écho parfait dans le massacre des New Yorkais par le gorille géant, de même que la detsruction des huttes trouve un écho dans les agissements du singe lâché en ville.

Ce ne sont pas les seuls parallèles à trouver dans le film. ils abondent, dans une structure riche en rebondissements, mais à la cohérence à toute épreuve: la tête exaltée de Denham lorsqu'il "trouve" Ann Darrow au début du film, et qu'il constate qu'elle a la silhouette idéale pour être son héroïne (Robert Armstrong la regarde en détail, partout ou il faut), est répétée par le visage réjoui de Kong, vu en gros plan après son affrontement avec l'allosaure. On songe d'ailleurs aux paroles de Zaroff dans The most dangerous game, qui parle de l'importance de la femme en tant que récompense du chasseur victorieux... De même, l'offrande faite à Kong, avec Ann attachée à deux poteaux, trouve-t-elle un écho dans la scène du théâtre, avec cette fois Kong en victime sacrificielle; regardez les tous les deux se dégager de leurs liens, l'une motivée par la peur, l'autre par la colère...

Denham, c'est Cooper, on le sait. L'auteur de l'anecdote a mis suffisamment de lui-même dans le personnage obsessionnel de ce showman de génie qui croit avoir trouvé le spectacle ultime en la persone de Kong. Mais c'est intéressant de réfléchir à la raison d'être de ce voyage: comment Denham sait-il ce qu'il va trouver sur l'île? c'est un point qu'il ne vaut mieux pas creuser, mais on constate qu'il vient en toute connaissance de cause, avec sa fameuse réplique: "Did you ever hear of...Kong?". lorsqu'il demande cela au capitaine du Venture, il a lui une idée du monstre qu'il vient chercher. Il a les plans d'une île mystérieuse, oui, et a du recouper des on-dits et des légendes locales pour finir par être persuadé de l'existence d'un gorille géant. On sait, grâce à la fameuse scène anaphorique (Un flash forward, donc) du test caméra de Ann Darrow réagissant à un monstre invisible qui n'existe que dans sa tête, que le danger qui est dans la tête de Denham est contagieux. Mais une fois arrivé dans l'île, on est chez le docteur Freud. Bien sur la montagne ressemble à un crâne humain, mais on est quand même bien loin dans l'inconscient. Après tout, cette pauvre Ann Darrow est ressentie, on s'en doute comme un passe-temps de premier choix par les indigènes qui vont la donner en pature à leur divinité poilue. Et le singe, on le sait, tombe amoureux d'elle, ne négligeant pas une occasion de l'inspecter, la humer, la toucher de ses gros doigts boudinés, et bien sur de la déshabiller entre deux palpages; revenus à New York, le singe et ses kidnappeurs vont à nouveau se confronter au sexe et à la pulsion, avec atteinte à la masculinité (un train stoppé dans sa course), masturbation métaphorique (Le dit train brisé et vidé de ses occupants), pénétration manifeste doublée de viol (Le bras de Kong vient chercher Ann là ou elle se croit sauve), et bien sur la plus belle érection de toute l'histoire du cinéma, qui se terminera mal: l'Empire State Building sera d'ailleurs réutilisé par Warhol avec ce même sens. De quoi en conclure que tout gorillle lâché dans New York attire forcément les effusions...

A la fin du film, faut-il voir une forme d'humour auto-critique lorsque Denham semble prêt à triompher d'avoir eu raison ("It was beauty killed the beast", dit il depuis 90 minutes) alors qu'il est responsable de la mort d'un grand nombre de personnes, de destructions inouïes, et pour tout dire du chaos? en même temps, le film s'accomplit sous la forme d'un double crescendo qui est encore très efficace, 78 ans après. Mais Denham reviendra, pour le pire et pire encore, avec le film suivant de Cooper et Schoedsack, une suite vite faite et bien mal faite, qui ne fait honneur à aucun des artistes géniaux qui ont suivi le duo jusqu'à cette deuxième aventure: Son of Kong est un abominable navet. Pas King Kong; son statut royal, ce film ne l'a pas volé!

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Published by François Massarelli - dans Pre-code Merian Cooper