"It wasn't the airplanes, it was beauty killed the beast". En laissant la réplique si connue de Merian Cooper avoir le dernier mot, Peter Jackson rend paradoxalement raison à tous ceux qui pensent qu'on ne refera pas King Kong... Soyons juste: ce film part d'un postulat d'inutilité rare, le film de Merian Cooper et Ernest B. Shoedsack étant effectivement la "8e merveille" du monde, comme le nom de l'attraction conçue autour du grand singe par Carl Denham (Robert Armstrong dans le merveilleux et indispensable film de Cooper et Shoedsack, Jack Black dans la version de Jackson); mais voilà: devenu un monument souvent visité, ayant fait l'objet d'une armée de remakes et autres dérivatifs nippons, sans compter les innombrables parodies, le film fait partie de l'imaginaire collectif. Dès 1996, Jackson se déclarait prêt à en tourner une version personnelle, ce qui n'a abouti finalement qu'après un autre film, de douze heures celui-ci... Film sur lequel je pense qu'il n'y a absolument rien à dire.
Je pense qu'il faut considérer ce King Kong 2005 comme un commentaire de fan, une sorte de rêve de gosse: Peter Jackson a pu s'approcher de très près de son film préféré, a même rencontré sa star Fay Wray avant qu'elle décède (Et Naomi Watts a même eu à cette occasion sa bénédiction pour reprendre le rôle, excusez du peu). Il a même trouvé sur EBay un exemplaire du script signé de Edgar Wallace, qui est visible dans le film, et met constamment ses pieds dans les traces glorieuses de ses aînés: le film a beau durer le double de son modèle, tout y renvoie. Et tout ce qui n'est pas dans le film de 1933 en est une variation aussi respectueuse que possible, ou une extrapolation née d'un imaginaire maladif de sale gosse surdoué qui a tant côtoyé le film qu'il s'en est approprié l'univers: ainsi le peuple indigène de l'île est-il développé dans un sens logique qui tient compte de l'étrange physionomie des rochers: tous sont issus de peuplades différentes, aux couleurs dissemblables, probablement des gens qui se sont échoués, et leur apparent état primitif n'est pas qu'un renvoi à l'époque innocente des films d'aventures des années 30, c'est aussi explicable par le fait que ce peuple survit, après tout, sur une bande de terre très peu étendue, à l'ombre d'un gorille géant. Celui-ci est doté d'une famille dans le film: tous les cadavres de singes géants qui jonchent le sol tendraient à expliquer sa mélancolie: il est le dernier de sa lignée. Bien sûr, Jackson n'a pas évité les fautes de gout dans l'excès d'enthousiasme: sa séquence du 'spider pit', qui tente de recréer la fameuse scène perdue de King Kong (un vieux rêve du cinéaste, qui en a aussi fait un pastiche "à la manière de") est un catalogue navrant et lassant de créatures toutes plus immondes les uns que les autres. Mais de fait, on sent un enthousiasme juvénile dans cette réappropriation d'un mythe.
Au-delà du plaisir bluffant de recréer un monde en Nouvelle-Zélande (Dont un New-York enluminé d'une palette qui renvoie au technicolor deux bandes contemporain du premier film), Peter Jackson part de la même histoire, et la situe en la même année que la sortie de l'original, soit 1933. Si le développement le plus spectaculaire concerne la relation entre Kong le grand singe (Andy Serkis) et Ann Darrow (Naomi Watts), c'est aussi que le cinéaste a probablement voulu sortir des années 30, et de la litanie de hurlements auxquels Fay Wray, en véritable "damsel in distress" des années 30, était condamnée. Elle n'était qu'une anonyme qui souffrait de la faim dans le New York en crise; la Darrow de Naomi Watts est dotée d'un vrai métier, elle est actrice de vaudeville. C'est avec cet ingrédient qu'elle va apprendre à communiquer avec le grand singe, et établir un rapport... Et elle va, à New York, faire une apparition de star pour retrouver son imposant compagnon.
On notera par contre que si le thème de la masculinité si présent dans le film initial (Avec l'érection finale de son Empire state building) est repris et légèrement redéveloppé, voire souligné à travers les figures masculines présentes (Jack Driscoll, héros courageux, mais parfois inefficace, supplanté en compagnon d'Ann par Kong; Bruce Baxter, caricature lâche de mâle dominant), c'est malgré tout un autre thème qui l'emporte: on ne s'étonnera pas de retrouver en Jack Black un Carl Denham excessif, obsédé du cinéma, entouré d'un Jack Driscoll dramaturge, d'une Ann Darrow elle aussi du métier: ce film, l'oeuvre d'un passionné qui peut exceptionnellement manipuler les jouets dont il rêve depuis toujours, et qui a quasiment carte blanche après le succès phénoménal de sa trilogie, parle une fois de plus de l'importance de l'imaginaire, de l'art, de la création... du cinéma, enfin!! Donc il est inutile d'aller chercher plus loin: ce film dont on se serait si bien passé tant il ne s'imposait en rien, est une fois de plus une oeuvre personnelle d'un auteur parmi les plus attachants qui soient.