Dominique Marceau (Brigitte Bardot) a tué Gilbert Tellier (Sami Frey), son ancien amant. Elle a bien tenté de se suicider ensuite, mais a été sauvée in extremis... Elle risque la peine de mort, dans un procès qui voit deux ténors du barreau s'affronter: d'un côté, l'avocat de la défense, Maître Guérin, interprété par Charles Vanel, semble bien sur soucieux de sauver la tête d'une jeune femme qu'il présente souvent comme une écervelée victime de la confusion de ses sentiments. De l'autre, Maître Eparvier (Paul Meurisse) se fixe la mission d'être impitoyable, et de démontrer que la jeune femme a ourdi un plan de vengeance sur sa soeur Annie (Marie-Josée Nat) qui l'a conduite à éliminer le futur mari de celle-ci, Gilbert Tellier: un assassinat crapuleux effectué par une femme sans morale qui a monstrueusement instrumentalisé la mort de son ancien amant dans le seul but de faire souffrir. Nous assistons bien sur au procès, et grâce à des flash-backs motivés par certains témoignages au déroulement de certaines des étapes de la vie de Dominique Marceau: sa tentative de suicide qui va pousser ses parents à céder à ses demandes d'aller vivre à Paris en compagnie de sa soeur; son arrivée au Quartier Latin, en quête d'oisiveté; ses fréquentations, ses coucheries, sa rencontre avec le brillant Gilbert, leur couple, leurs disputes, leurs jalousies, leurs réconciliations...
On va surtout assister à un ballet entre deux, voire plus, vérités: dans un film qui s'appelle justement La vérité, Clouzot a tenu à inclure plusieurs sons de cloche, sans jamais s'octroyer le droit de totalement juger ses personnages. Tout au plus égratigne-t-il au préalable ses deux avocats, qui sont présentés dans toute la crudité de leur véritable jour AVANT le procès, comme pour prévenir les spectateurs de se méfier de leur éventuel ralliement à l'un ou à l'autre: Vanel se plaint d'un métier gâché par les clients, puis lui qui se fera tant remarquer durant le procès par la compassion et l'humanisme qu'il affichera vis-à-vis de sa cliente, raille son concurrent qui vient de traiter avec une déférence très voyante la mère de la victime. Eparvier (Dont le nom est déjà tout un programme) prépare ses arguments, déterminé à faire un massacre. Le ton est donné, et aucun des deux ne s'approchera de "La Vérité", celle des sentiments de Dominique Marceau. Elle seule saura essayer de les défendre, de les exposer, dans une scène magnifique. Quoique... Elles le sont toutes.
Clouzot est bien entouré pour son dixième long métrage. Pour signer l'ensemble du scénario, de l'adaptation et des dialogues, sont crédités Jérôme Geronimi (En fait Jean Clouzot, le petit frère), Christiane Rochefort, Simone Drieu, Michèle Perrein, Henri-Georges Clouzot lui-même et en toute fin de colonne: Véra Clouzot. On sait que l'actrice et épouse du metteur en scène mourra un mois à peine après la sortie du film... Malade du coeur depuis si longtemps, peut-être a-t-elle encore une fois enduré beaucoup durant la préparation et le tournage éprouvant d'un film formellement impressionnant, qui a du aussi beaucoup demander aux acteurs. Mais pour s'approcher de la vérité des gestes, des langages aussi, la présence de nombreux collaborateurs à l'écriture du film, une première pour le despote Clouzot, s'explique sans doute par l'exceptionnel naturalisme linguistique d'un film qui tend à appeler un chat un chat. Et la vie de Dominique Marceau, jeune femme libre à la vie sexuelle débordante, en devient d'autant plus embarrassante pour tout père la pudeur qui se respecte... Un pari osé pour Clouzot qui entend bien conserver à son héroïne le respect et l'affection de ses spectateurs, sans le flou artistique du bénéfice du doute (Contrairement à Lean avec Madeleine, par exemple). Dominique Marceau est bien coupable, mais elle n'est ni la femme inconséquente décrite par maître Guérin, ni le monstre des plaidoiries incendiaires (Et impressionnantes de talent, ce n'est pas un hasard si Clouzot a confié le travail à Meurisse) de Maître Eparvier.
L'image peut mentir. On sait que Hitchcock en a fait l'amer constat en commettant ce qu'il appelait une erreur dans Stage Fright en 1950 en livrant des flash-backs mensongers. Mais Clouzot brave le risque en entrecoupant le procès de scènes de la vie de ses protagonistes qui s'avèrent souvent décalées du discours synthétique un peu trop fermé des deux avocats. Ce décalage qui confirme au spectateur l'impression d'assister à La Vérité, la seule, est renforcé par une scène située vers la fin du film, après que nous ayions vu le crime, et dans laquelle les deux avocats tentent de faire dire tout et son contraire à la jeune femme en lui faisant revivre les gestes de son meurtre. C'est sans doute à ce moment que Dominique Marceau a craqué, c'est peut-être à ce moment que Brigitte Bardot a elle aussi commencé à se sentir mal... Je ne vais pas m'en cacher: sans avoir besoin de parler de ses idées politiques nauséabondes, de ses amitiés infectes (Jean-Marie le Pen), je considère (Personnellement) que Bardot est de fait l'une des pires actrices qui soient, qui était d'autant plus douée pour jouer des idiotes qu'elle avait probablement un quotient intellectuel fort limité. Mais voyez-vous, la rédemption existe peut-être; pour certains, c'est à la fin de la vie, pour d'autres, c'est bien plus tôt: Dominique Marceau est une composition exceptionnelle, un rôle dramatique extraordinaire, dont Clouzot a eu le génie de faire dans un premier temps une extension de la vraie Bardot. En utilisant sa manière n'en doutons pas forte, il a sans doute été un peu loin avec son actrice, qui a du en voir des vertes et des pas mûres comme on dit, mais le résultat est là: et le metteur en scène a eu l'intelligence de baser sa progression dramatique sur la montée du malaise de Dominique Marceau... On sait le prix qu'a coûté ce film à l'actrice qui a même fait une tentative de suicide à la fin du film. Ce qui en dit long sur son implication, ainsi que sur les méthodes parfois très discutables de Clouzot... Mais le résultat est là.
La photographie du film est signée d'Armand Thirard; ce n'est bien sur pas la première fois: il s'est chargé des images de L'assassin habite au 21, Quai des orfèvres, Manon, et Les Diaboliques... On obtient un noir et blanc gorgé de vie, de naturel, pour un grand nombre de scène nocturnes, ou aussi bordées de noir que peut l'être la façade de la maison des Marceau lorsque Dominique rentre chez ses parents pour les funérailles de son père. Une scène durant laquelle elle apprendra une nouvelle qui mettra le feu aux poudres. Le film commence et se finit presque sur une scène qui voit une silhouette de religieuse monter un escalier en silence. Un voile sombre nous en rappelle un autre, celui d'un ange noir: la maman du suicidé dans Le corbeau. Une façon comme une autre de nous dire que dans cette prison où Dominique Marceau attend son procès, la mort rode déjà...
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