Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
  • Contact

Recherche

Catégories

7 décembre 2013 6 07 /12 /décembre /2013 15:08

Un instinct maniaque de reconstitution aussi complète, parfaite que possible, dans un univers aussi complexe que le cinéma, peut être une source infinie de reproches et réserves, et c'est probablement le principal aspect des crtiques souvent faites à Ang Lee, qui a au cours de sa carrière "internationale" reconstitué la Nouvelle-Angleterre des années 70 (The Ice Storm), Bethel en 1969 (Taking Woodstock), les sous-bois ce la guerre de Sécession (Ride with the devil), et j'en passe... Avec ce très beau film en forme de retour aux sources Chinoises de son art, il s'attaque à la recréation de l'occupation Japonaise de la Chine, donnant à voir une impressionnante version de Hong-Kong et de Shanghai entre 1938 et 1945... Mais bien sur ce n'est pas là l'essentiel du film, qui situe son action dans un passé palpable et hyper-réaliste pour mieux toucher du doigt un drame humain de plus... Lust, Caution (Littéralement, "La luxure, la prudence", deux mots qui sont bien un portrait des deux extrêmes dans lesquels les personnages évoluent) s'attache à décrire la vie d'une jeune femme, une étudiante qui découvre le frisson du jeu théâtral, et va aller au bout de l'interprétation, jusqu'à se perdre quand la vérité va s'en mêler.

Wong Chia Chi est une jeune femme un peu paumée lorsque les Japonais étendent leur domination sur la Chine avec l'intensification de la guerre. Elle intègre par hasard une troupe de théâtre menée par Kuang, un jeune agitateur idéaliste, devient une impressionnante actrice, trouvant dans un flirt permanent avec la réalité des émotions une source infinie d'inspiration. Mais lorsque Kuang, dont elle et amoureuse, décide de proposer à la troupe de quitter le théâtre pour utiliser leur art à des fins de résistance, elle le suit dans une opération risquée: infiltrer l'entourage d'un haut dignitaire de la Chine collaborationniste, Yee, afin de l'assassiner. Elle ne va pas tarder à attirer ce dernier qui décide la séduire. Le jeu va devenir dangereux, et Chong Chia Chi, au coeur de la tempête, va devoir aller très loin... Séduire un homme telleemnt rompu au jeu de la duperie qu'il semble impossible de s'en approcher, et se jeter corps et âme dans une relation brûlante qui rendra bien floues les limites du jeu et de la réalité.

Le film possède une structure globalement linéaire, mais un épisode situé vers la fin de sa chronologie est mis volontairement en ouverture du film: un moment durant lequel Chong, sous le nom de Mak Tai Tai, lance la dernière opération, qui va mener à la mort de sa cible, alors qu'elle l'attend dans un café. L'attente nous permet de la suivre dans un flash-back. On y apprend qui elle est, en l'occurrence: une jeune femme laissée au pays par un père qui a pris la fuite pour Londres avec son fils, en abandonnant derrière lui une fille dont il n'a que faire. La troupe de théâtre devient la seule raison d'être pour Chong, à plus forte raison quand il s'agit de séduire l'homme qu'elle aime. mais celui-ci ne se réveillera que trop tard. L'éducation sexuelle, à défaut de sentimentale, de celle qui se prétend une jeune mariée, mais est en réalité vierge, va passer par une épreuve filmée frontalement, de façon glaciale: puisque qu'il s'agit ouvertement de séduire un homme pour mieux l'éliminer, "Mak Tai Tai" va devoir perdre sa virginité, et vite. Le seul des étudiants théâtreux à être expérimenté se charge donc de la besogne durant quelques jours qui devront suffire à donner suffisamment d'expérience à la jeune femme. L'art théâtral, durant cette première partie, mène donc l'héroïne à un état proche de la prostitution...

La deuxième partie du film voit les ex-étudiants, dont la couverture bien fragile a failli être exposée au grand jour, rattrapés par une résistance bien mieux organisée, et tout naturellement, on leur demande de reprendre leur tâche là on ils l'avaient laissée. C'est à ce stade que la jeune femme semble faire définitivement don de son corps, et devient effectivement la maîtresse de Yee. Les scènes de leurs rencontres furtives possèdent une vérité rare (Qui a failli coûter très cher à l'actrice Tang Wei, dans un pays où on ne plaisante pas avec la nudité d'une actrice, et encore moins avec une représentation aussi explicite de l'acte sexuel), qui nous permet de comprendre la vérité des sentiments découverts par la jeune femme dans les bras de celui dont elle doit provoquer le meurtre... Il est inutile de dire que ce film à la beauté glacée et maniaque finit fort mal, par un choix sacrificiel de la jeune femme, qui entraînera la mort d'autres personnes. Le jeu, qui lui a permis de toucher sa propre vérité, a conduit la jeune femme à sa perte. Actrice, elle l'a été jusqu'à un certain point puisqu'elle a compris, lors d'un  rendez-vous avec l'homme qu'elle trahit, que celui-ci est arrivé à l'aimer plus que tout, et qu'elle a vu en son geste naïf (L'achat d'un énorme diamant) un reflet de son propre amour.

Avec des acteurs exceptionnels, Tang Wei bien sur, mais aussi Tony Leung aussi extraordinaire que d'habitude, le film palpite, regorge de moments intimes, liés au détail, non seulement d'une décoration maniaque, mais aussi de toilettes, vêtements, parfums, moments de calme (des parties de Mah-Jong, des salons de thé, etc) moments de suspense, moments de violence (Certains ébats se font dans la douleur). Un homme qui est généralement un monstre se révèle une créature fragile, complexe et contradictoire, prêt sans doute lui aussi à franchir la ligne de démarcation entre son camp et celui de ses assassins potentiels. Ang Lee ne fait pas de quartier, et comme pour The ice storm, nous a installés dans une fascinante reconstitution pour mieux asséner sa réflexion pessimiste, noire, ironique et si humaine sur des temps révolus et des passions extrêmes.

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Ang Lee