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27 janvier 2013 7 27 /01 /janvier /2013 17:21

Pas grand chose d'autre à faire quand on pense qu'un film est parfait que de s'incliner. Mildred Pierce est l'un des couronnements de la longue, fructueuse et fascinante carrière de Michael Curtiz, l'un des films les plus emblématiques de la Warner Bros, et l'un des  plus beaux films noirs, aux cotés, selon les gouts, de The big sleep, Strangers on a train, Laura, Double indemnity ou White heat, et enfin l'un des films les plus réussis de Joan Crawford, si ce n'est son chef d'oeuvre... Elle y interprète un personnage de femme volontaire qui ne se rend pas compte qu'autour d'elle une intrigue noirissime se trame, dans laquelle la plupart des êtres en qui elle a confiance sont trempés jusqu'au cou, le tout raconté dans un style baroque à souhait, par un maître des ombres et de la lumière.

Le film ne commence pas de la même manière que tant d'autres films de Michael Curtiz: on s'attend comme souvent à un véhicule en marche, alors que c'est le mouvement de la mer qu'on voit d'abord. Le générique déroule ses crédits sur des images de plage, les vagues venant balayer les noms des acteurs et techniciens. Puis le film installe une scène de nuit, près d'une maison. Un homme se fait tuer sous nos yeux, puis l'héroïne, qu'on soupçonne évidemment d'avoir tué, prend sa voiture et file au pont le plus proche, dans le but de commettre un suicide. elle en est empêchée par un brave policier, et rencontre un homme qu'elle connait, Wally. Elle le ramène chez elle, dans le but de lui faire porter le chapeau du crime... Ca ne marchera pas, et on va donc entendre de la bouche de l'intéressée les circonstances qui ont amené à cette nuit fatale durant laquelle son mari Monte Beragon est mort: elle s'appelle Mildred Pierce, et un jour elle a décidé que son mari, rendu chômeur par la fatalité, et infidèle, n'avait plus à rester chez elle. Elle a conquis son indépendance, trouvé du travail comme serveuse dans un restaurant, puis monté sa propre entreprise, tout en élevant deux filles, Veda et Kay... C'est dans ces circonstances qu'elle a rencontré le playboy Monte Beragon...

 

Mildred Pierce (Joan Crawford) s'affranchit de tous les hommes, dans un film qui leur laisse peu de place. A l'exception de Wally Fay (Jack Carson), un homme d'affaires peu scrupuleux qui surnage en restant de fait un peu à l'écart de Mildred (Même s'il aimerait bien s'en approcher...), les hommes ici vivent soit en marge, soit aux dépens de l'héroïne: Bert (Bruce Bennett), l'ex, infidèle et divorcé mais dont on sait qu'on peut encore compter sur lui, et Monte (Zachary scott) le playboy gâté et méprisant de la main qui le nourrit parce qu'elle est bien obligée de travailler pour lui payer ses chemises de luxe... Mais Mildred n'est pas à proprement parler libre, ayant des enfants, deux filles, dont une seule survivra à l'intrigue, et des amies (Ida, qui l'assiste dans l'affaire Mildred Inc), voire des employées (Lottie, la bonne). De tous ces personnages, la seule à véritablement se hauser au plus près de l'héroïne, c'est Veda (Eve Arden): la fille aînée de Mildred est aussi son double maléfique, celle qui veut tout ce qui la différenciera de sa mère, celle qui critiquera les choix de Mildred pour leur bassesse (Serveuse dans un restaurant, un métier vulgaire pour la hautaine Veda), mais qui se livrera à des actions plus basses encore, en faisant chanter un fils de famille riche sous le prétexte d'une grossesse imaginaire, ou qui finira par chanter dans des cafés peu recommandables pour être indépendante. Et surtout, elle fera pire encore... Pendant que sa fille tombe très bas donc, Mildred Pierce rejoint la cohorte sublime des héroïnes magnifiques de Curtiz, qu'elles soient interprétes par Olivia de Havilland, Glenda Farrell, Ann Dvorak, Rosalind Russell, Bette Davis ou même Doris Day: le metteur en scène fait tout tourner autour de Joan Crawford, dans un film qui est comme un écrin taillé sur mesure, pas moins.

 

Pourtant, on constate paradoxalement qu'en 1945, Curtiz n'a pas encore tâté de ce genre réellement apparu dans les années 40 qu'est le film noir; néanmoins il a aisément fait partie de ceux qui en ont pavé le chemin, avec ses films de gangsters (Kid Galahad, Angels with dirty faces) ou films à l'atmosphère gothique et baroque (The mad genius), voire films fantastiques (Doctor X, Mystery of the wax museum, The walking dead). Il se glisse sans aucun effort dans le genre, dont il adopte ici le style qui finit d'ailleurs par se confondre avec le sien. Les scène souvent nocturnes de ce film dont l'intrigue prenante tourne autour de l'énigme du meurtre de Monte: si ce n'était Mildred, qui l'aurait tué?  Et Curtiz fait une fois de plus jouer les ombres et la lumière dans une mise en scène superbe, qui fait feu de tout bois, laissant grandir un inévitable malaise dans ce qui aurait pu ou du être la peinture de la vie quotidienne d'une femme volontaire, altruiste et maternelle. Si seulement...

 

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Published by François Massarelli - dans Michael Curtiz Noir Criterion