Mother Machree est perdu, mais trois bobines et un fragment d'une quatrième ont été préservés. Elles constituent essentiellement l'exposition du film, et le fragment est probablement tiré du dernier acte. Au-delà du fait que la perte de tout film est scandaleuse, on le regrette d'autant qu'il s'agit d'une période charnière de la carrière de Ford: Ce film, situé entre Upstream (1927, retrouvé récemment) et Four sons (1928), nous montre comment le réalisateur, qui s'est essayé avec un certain bonheur à intégrer un nouveau style inspiré de Murnau avec Upstream, continue à intégrer dans sa mise en scène des éléments inspirés du cinéma Européen, jeux de lumière, décors en trompe l'oeil, et angles de caméra très étudiés, tout en poursuivant une oeuvre personnelle: le prologue de Mother Machree, situé en Irlande, est du pur Ford, tendance Irlandaise. Belle bennett y joue Ellen McHugh, une jeune femme dont le mari est retrouvé mort un soir; les copies actuellement disponibles ne font que le suggérer, mais il a probablement été tué lors d'un affrontement avec les forces de l'ordre Anglaises... elle part donc avec son fils Brian (Le jeune Philippe de Lacy) pour les Etats-Unis. Lors de ce prologue, Ford utilise les studios Fox ou il reconstitue un village; on soupçonne le décor d'être en partie un recyclage des décors de Sunrise (Ce qui se fera encore pour le film suivant, Four sons). Le metteur en scène nous montre dans une très belle séquence un orage qui va souligner le drame familial, à travers un beau plan: au fond du champ, le fils regarde au dehors, la fenêtre devenant une source de lumière intermittente; à gauche, l'héroïne se tient près de la cheminée. Mais à cette quiétude familiale, l'orage substitue bien vite l'angoisse: Brian dit à sa mère que les gouttes d'eau sur la vitre sont comme des larmes, appuyé en cela par un plan qui visualise la métaphore, et elle pressent alors le drame...
La deuxième et la troisième bobines contiennent essentiellement trois épisodes qui nous montrent la décision de partir aux etats-unis, suivis d'un passage au cours desquels ils rencontrent trois artistes de cirque, dont le "géant" Terence O'Dowd (Victor McLaglen) qui tombe amoureux d'elle. Ils l'escortent jusqu'à Queenstown ou elle prend la bateau avec le jeune Brian. On retrouve Ellen et Brian aux Etats-Unis: un intertitre nous prévient: la déconfiture est au rendez-vous pour nos héros. Une séquence simple mais effective visuellement nous trahit le désespoir des deux immigrants dont la mère ne trouve pas de travail: ils sont vus en plongée, du haut d'un escalier; à gauche dans le champ, le reflet d'une fenêtre. Ils montent lentement, et une fois arrivés à ce qui est sans doute un bureau de placement, ils apprennent qu'il n'y a rien. ils redescendent par la même escalier, aussi lentement, suggestion de la résignation et de la routine... Mais une fois arrivés chez eux, ils reçoivent la visite de leurs amis du cirque, qui viennent de faire la traversée à leur tour, et vont leur offrir une position: Ellen devient "half-lady", ou fausse cul-de-jatte, et va faire partie de la galerie des monstres du cirque (Dans une séquence ou la composition renvoie aux séquences de fête foraine de Sunrise dont il y a fort à parier que là encore le décor a été réutilisé...
La séquence est suivie, en ce qui nous concerne, d'une longue ellipse, au cours de laquelle Ellen mise en confiance va rassembler suffisamment d'argent pour inscrire son fils dans une école huppée, mais les dirigeants de l'école vont l'exclure lorsqu'ils apprennent que sa mère est une artiste de cirque. Désespérée, elle laisse le directeur de l'école adopter son fils, qui sera désormais connu sous le nom de Brian van Studdiford: il va grandir loin d'elle, et elle va devenir gouvernante loin de son fils. Jusqu'au jour ou la jeune fille de la famille qui l'emploie revient à la maison avec un beau grand jeune homme, Brian Van Studifford... La séquence des retrouvailles (Seule la mère reconnait son fils) est l'unique scène sauvée du reste du film, et possède l'un des arguments chocs de la publicité de la Fox: le jeune Neil Hamilton y chante une chanson, Mother Machree, en son synchrone. C'est de loin aussi la séquence la plus faible visuellement qui reste dans ces fragments...
On sent bien que Ford expérimente ici, mais il le fait moins apparemment qu'avec son film précédent; il est à la recherche d'un compromis, et après tout l'adoption d'un style visuel savant et sophistiqué, qui apparaît en particulier dans les scènes Irlandaises, va de pair avec une narration linéaire dépendante de l'univers propre à Ford, déjà mis en valeur par The Iron horse, Three bad Men, The Shamrock handicap... Le film est aussi pour lui l'occasion de peindre le folklore Irlandais décalé qu'il avait déjà montré dans The shamrock handicap, de façon bien sur plus dramatique, mais avec un certain humour, quand même: il fait se succéder dans une scène de veille funèbre, des plans d'une cohorte de vieillards à longue barbe blanche qui se tiennent près du défunt, et les plans d'un vieillard qui tire sur sa pipe, avec un oeil malicieux, et dit (Trois intertitres): Quand je serai mort... Si je meurs un jour... je voudrai qu'à ma veillée funèbre ce soit la grande hilarité! L'irlande, ses larmes, sa mort, son humour, ses petits vieux qui semblent échapper au temps... et ses lutins: quand Brian tombe nez à nez avec un nain de cirque, celui-ci se comporte comme un lutin. Les intertitres reprennent un Anglais malmené par les personnages (la mise en avant des adjectifs par Terence, par exemple: "It's Grand you look")... Le film est un jalon essentiel de la relation de Ford au pays d'origine de ses parents, aussi peu crédible en soit la peinture. Deux films plus tard, avec Hangman's house, il y reviendra, et son style aura enfin parfaitement intégré ces recherches. Pour l'instant, les extraits disponibles de ce film sont bien frustrants, mais ils nous montrent un jeune metteur en scène qui fait avec un certain bonheur ses gammes.