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L'ombre consciente de Psycho plane sur ce film. Pas de la même façon que, disons, celle de The big sleep sur The Big Lebowski, ou les fantômes de Capra et Sturges sur The Hudsucker Proxy, non. A vrai dire, si il est beaucoup question de fuite en avant, d'avoir peur des conséquences d'un crime qu'on n'avait pas prévu de commettre, de motels et même de meurtre dans une salle de bain, le film des frères Coen cite ouvertement une scène du classique d'Hitchcock: lorsque Woody Harrelson monte un escalier, suivi de près d'un meurtrier avéré, on pense à la scène durant laquelle le détective Arbogast se rend dans la maison à côté du motel Bates, et monte lui aussi un escalier fatal...
Pas plus que dans Psycho, le film des frères Coen ne s'intéresse vraiment à la notion de justice. Ici, c'est la violence qui règne, suivie dans la mesure du possible par un vieux policier essoufflé, et bien vite rattrappé par les évènements: il suit la trace non pas d'un, mais de deux hommes, et l'un d'entre eux dépasse en invention criminelle tout ce qu'on peut imaginer.
Llewelyn Moss (Josh Brolin) chasse dans le désert Texan, lorsqu'il aperçoit une étrange scène funèbre: cinq voitures sont là, et les corps d'hommes qui se sont entretués autour d'un deal de drogue jonchent le sol. Il récupère une valise d'argent qui lui permet enfin d'acéder à tous ses rêves, et va se retrouver pourchassé par les trafiquants, un shériff Texan interprété par Tommy Lee Jones, et surtout par Chiguhr, un homme dangereux, dont l'arme principale est une bouteille d'oxygène pour laquelle il a trouvé une utilisation diabolique...
Le diable, puisqu'on en parle, est souvent invité d'une manière ou d'une autre à participer aux réjouissances chez les Coen. Ici, il est incarné de manière extraordinaire par Javier Bardem, un homme déterminé, froid, habité par le crime et le mal au point de venir, longtemps après avoir clos une affaire, tuer la femme d'un protagoniste auquel il avait promis de régler son compte à son épouse. Un homme lent, méthodique, effrayant. Présenté par un autre truand (Harrelson), Chiguhr est effectivement un homme qui possède son propre code d'honneur, mais surtout, n'a aucun sens de l'humour. Quoique... justement, le film possède une certaine poésie drôlatique pour qui a le coeur bien accroché, faite de décalage (Les meurtres froids et ultra-précis de Chiguhr, mis en parallèle avec la lenteur et la gaucherie vieillote de Jones et de son adjoint joué par Garett Dillahunt; les accents poussés juste un tout petit peu vers l'exagération, les petits plaisirs pris par le monstre à parier sur la mort des gens qu'il rencontre), tout en nous donnant à voir, une nouvelle fois, un personnage engagé dans une fuite en avant à cause de circonstances qui le dépassent.
C'est Josh Brolin qui interprète ce personnage qui rejoint la longue liste des paumés qui ont cru leur jour de gloire arriver, après Lebowski, Jerry Lundegaard, le coiffeur malchanceux, ou Barton Fink. Preuve que s'ils semblent se retrancher derrière l'adaptation prestigieuse d'un roman de Cormac McCarthy, les frères Coen ne renient rien... D'autant qu'ils reviennent en territoire connu, qu'on se souvienne de leur premier film tout aussi Texan, et déjà particulièrement violent, Blood Simple.
Mais surtout, dans cet opéra Texan superbement mis en images par leur collaborateur habituel Roger Deakins, la violence finit par être le protagoniste essentiel, au point que l'histoire dérape: on assistera à tellement de crimes que les deux frères vont finir par aller d'ellipse en ellipse, au point de laisser le doute sur qui a tué qui, voire d'éluder complètement la résolution d'un meurtre: Chiguhr a-t-il tué... Au bout d'un moment, dans le sillage du shériff qui prend sa retraite, harassé par la violence et la cruauté, nous ne saurons nous non plus pas vraiment de quelle façon cette histoire se termine. Mais en passant, nous aurons vu une nouvelle fois à l'oeuvre la guigne qui guette derrière l'âme américaine, sous un visage cette fois encore plus terrifiant que d'habitude.