Des hauts, des bas: Joseph L. Mankiewicz est sous contrat, et doit continuer à mettre en scène après le triomphe de son dernier film, à tous points de
vue. Il est inutile d'attendre de ce dixième film le même feu d'artifices que le précédent, bien sur, mais s'il est incontestablement mineur, il n'en est pas moins passionnant, renvoyant malgré
son origine théâtrale à de nombreuses touches et de nombreux thèmes de l'auteur, qui n'a pas laissé de façon stérile la pièce se dérouler sous nos yeux: il se l'est appropriée. Bien sur, le
casting recèle des problèmes pour le metteur en scène: ainsi, si Cary Grant est fidèle à lui-même, on imagine qu'il a surtout été amené à faire du cary Grant, pour le meilleur heureusement. Mais
Mankiewicz n'aimait pas Jeanne Crain et estimait avoir complètement échoué à en tirer quelque chose pour ce film; je trouve pour ma part ce jugement bien sévère. Pour le reste, les acteurs
convoqués sont pour notre plus grand bonheur Walter Slezak, Le grand Finlay Currie dans le rôle de l'énigmatique et bien silencieux Shunderson, Margaret Hamilton, la sorcière d'Oz, revient en
femme de ménage renfrognée, qui compose une énième figure ancillaire dans une oeuvre déja marquée par la Sadie de Thema Ritter (A letter to three wives) ou plus lointainement, la
Peggy de Jessica Tandy (Dragonwyck). Et puisqu'on parle de Jessica Tandy, Mankiewicz avec ce film travaille enfin avec le mari de cette dernière, son ami, le grand Hume
Cronyn, qui domine le film avec son médecin universitaire en croisade contre des ombres...
Dans un hôpital universitaire, le Dr Noah Praetorius (Cary
Grant) est un médecin spécialiste en gynécologie, aimé de la plupart de ses collègues et des étudiants, mais sur lequel une enquête est ouverte afin de déterminer si il a oui ou non pratiqué
la médecine d'une façon extravagante en se faisant passer pour un guérisseur d'une part, et afin de déterminer qui est l'énigmatique vieil homme silencieux qui l'accompagne en toutes
circonstances d'autre part, Mr Shunderson. Parallèlement, Noah soigne dans sa clinique une jeune étudiante désespérée d'être enceinte (Elle n'est pas mariée, le père est décédé), et qui tente de
se suicider. Afin d'empêcher une récidive, il choisit de lui faire croire qu'elle n'est finalement pas enceinte, mais le jour ou il se rend chez elle pour lui annoncer la vérité, il la
demande en mariage à la place...
Le film, d'une certaine manière, est un peu All about Noah; le fait est qu'il commence par une mystérieuse rencontre entre le Docteur Elwell, le principal accusateur de Praetorius, et une femme qui l'a connu dans le passé et qui va apporter de l'eau au moulin de l'accusation. Et le choix d'entamer le film ainsi permet à Mankiewicz de commencer le film sur l'impression d'un nouveau puzzle, qui sera toutefois moins voyant que les autres, et dont la plupart des résolutions (le passé de Praetorius, sa rencontre avec Shunderson) seront uniquement dévoilées à la fin, mais la philosophie de Praetorius apparait quant à elle du début à la fin du film; Jeane Crain-Deborah aime à faire remarquer à Praetorius qu'il est un homme sentencieux et bavard, je dois admettre que c'est vrai... Il se lance parfois dans des diatribes qui font passer de façon un peu lourde tout l'humanisme du personnage. C'est heureusement partiellement désamorcé par sa complicité avec Deborah, son épouse, son ami le professeur Barker (Walter Slezak), et aussi sa position de chef de clinique, qui l'autorise à se montrer un peu professoral parfois... Le film fait reposer le suspense sur l'approche d'une réunion durant laquelle la faculté va explorer le dossier accumulé par Elwell, en présence de Praetorius...
Le mystère Shunderson occupe l'esprit de chacun, grâce à plusieurs pistes: d'une part, les personnages sont tous plus ou moins de l'avis du professur Elwell, qui est obsédé par la silhouette étrange du bonhomme; même Barker fait comprendre à Praetorius que son étrange ami est parfois une présence embarrassante, et que le surnom de Chauve-souris lui colle à la peau. Pour couronner le tout, le vieil homme réussit à apprivoiser un chien présenté comme un vrai sauvage, sans aucun problème (le chien s'apelle Belzébuth, rapport à son caractère...), un petit mystère de plus; seuls Déborah, son père et Noah semblent trouver du plaisir à la compagnie de Shunderson, le questionnement sur sa nature restant trop fort pour les autres... Tout cela est renforcé par la seule présence de Finlay Currie, qui use de sa silouette raide, et parle peu, avec son accent Ecossais si touchant. Bien sur le mystère Shunderson est résolu à la fin et finit d'ajouter une touche d'humour légèrement absurde au film...
Après la figure envahissante du père (House of strangers), Mankiewicz profite de ce film pour dreser un petit portrait de deux frères, les Higgins, qui sont le père
de Deborah, et son oncle. Ce dernier possède une exploitation agricole, et passe la journée à se plaindre du haut de son rocking-chair, pendant que l'autre frère semble assumer de façon plus
adulte la responsabilité de la ferme. Le père de Deborah est aussi un esthète, qui propose à M. Shunderson d'écouter de la musique en sa compagnie, un homme philosophe et tranquille, qui fume la
pipe: un double de l'auteur, discrètement caché dans le script. L'oncle, ce serait donc une pique à Herman, le très mondain scénariste, celui dans l'ombre duquel il a fallu passer tant
d'années...
Au final, ce petit film se pose un peu comme un petit précis d'humanisme tranquille; a la figure du Dr Elwell, mesquin, qui se vante de n'avoir aucune qualité humaine, aucun goût pour quoi que ce soit, vient s'opposer le pragmatique Dr Praetorius, homme de goût versé sur la musique, fidèle en amitié, qui a su garder une âme d'enfant (La séquence du train électrique est un intéressant mélange de cmoédie et de tension drmatique) et qui agit toutjours au regard de la personne qu'il a en face de lui, ainsi peut-on justifier son étrange mais efficae décisionde cacher sa grossesse à la jeune femme afin de l'empêcher de se tuer. Le film finit sur une note musicale qui tend à agir sur le spectateur, pour peu qu'il se laisse faire, et le fera se sentir bien... un film qui laisse Mankiewicz exposer un versant plus solaire de la comédie.