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Réalisé avant Rashomon, et bien sur beaucoup moins connu, ce film reprend le fil des préoccupations liées à la vie au Japon après la défaite, dans la droite ligne, pour Kurosawa, de ses films de l'immédiate après-guerre et de ses films noirs (L'ange ivre, Chien enragé). Avec sa situation qui met aux prises deux personnes face à un scandale ourdi par les méias, qui dégénère en affaire de corruption, le réalisateur dresse un portrait révolté de la situation morale du pays, tout en livrant une image de la réalité sociale d'un pays qui peine à se relever de la guerre, et dans lequel les inégalités sont partout...
Ichiro Aoye, un peintre (Toshiro Mifune), a rencontré par hasard lors d'un voyage Miyako Saijo (Yoshiko Ōtaka), une jeune chanteuse à succès, poursuivie par la presse. Il propose de la ramener à son hôtel sur sa moto, déclenchant ainsi malgré lui un crise médiatique sans précédent; en rentrant en ville, il constate que la presse s'emballe, des articles sont pbliés dans un magazine à scandale, et le peintre se lance dans une lutte contre le journal; il porte plainte pour harcèlement. il demande de l'aide à Hiruta (Takashi Kimura), un avocat miteux qui l'a contacté parce qu'il était sincèrement désolé pour lui, et scandalisé par les attques de la presse. Mais Hiruta, affaibli par la maladie de sa fille Masako (Yoko Katsuragi), et qui vit dans une misère inquiétante, va vite céder aux sirènes de la corruption lorsque les plaignants deviendront une menace trop forte pour le journal incriminé...
L'ombre de Capra plane sur ce beau film engagé. Engagé, parce que Kurosawa n'a pas fait de Mifune un peintre pour rien, la métaphore est évidente; si le film n'est pas une allusion à Kurosawa ou son histoire, le réalisateur met suffisamment de lui-même dans le film pour qu'on sache sur quel pied il danse. Et le procès, fait de coups de théâtres savamment orchestrés, le voient prendre parti pour la justice, aux côtés de Aoye... Le film dénonce donc la turpitude morale du japon, incarnée dans une presse qui n'en fait qu'à sa tête. Il ne s'agit pas de conservatisme de la part de Aoye/Kurosawa, mais bien de vérité. Il n'a rien à se reprocher, et n'aime pas surtout qu'on s'intéresse à lui pour de mauvaises raisons. Le personnage n'est pas à propement parler traditionnel, avec sa moto et son franc-parler, mais il a une fibre morale solide; c'est une belle interprétation toute en subtilité de Mifune. A ses côté, la vedette féminine (Qui tournera l'année suivante pour Vidor, dans Japanese war bride) incarne un rôle ambigu de vedette qui veille à sa propre publicité, mais dont il est clair qu'elle garde de sa rencontre avec le peintre un excellent souvenir... De nombreuses allusions à un tableau, représentant une montagne, effectué durant ce périple tendent à nous faire penser que le peintre lui-même n'a pas été indifférent à la jeune femme; cela dit, Kurosawa étant Kurosawa, il ne s'étend pas sur cette idylle, préférant montrer les relations des deux artistes avec leur étonnant avocat.
Takashi Shimura, dont le nombre de collaborations avec Kurosawa en font aux cotés de Mifune un autre acteur fétiche, n'a rien ici de la montagne de force qu'est le samourai Kambei qu'il incarnera trois ans plus tard; c'est un homme que la vie n'a pas ménagé, pauvre, raté, qui ne sort de sa logique de perdant (Courses, paris, etc...) que pour se proposer de prendre la défense des deux plaignants, avant qu'ils ne le lui aient demandé; c'est sans doute la raison qui pousse Aoye à le faire, d'autant qu'il a vu la misère dans laquelle le vieil homme vit, et sa fille malade. Mais l'avocat va incarner durant le film non seulement la misère sociale mais aussi la misère morale de l'époque en se laissant corrompre trop facilement. Tragiquement, la mort de sa fille Masako sera pour lui le signal de la fin de cette mascarade, et il sauvera la mise de ses clients en dénonçant la corruption dont il a été l'objet, et à laquelle il a pris part. Cette mort, inévitablement pressentie et annoncée, empêche le film d'être une comédie, et prolonge d'une certaine noirceur l'humanisme volontariste à la Capra dont le metteur en scène a fait preuve pour ce film.
Scandale est un étrange objet, dont le rythme est généralement soutenu, ne s'arrêtant que pour laisser s'exprimer la douleur de Hiruta (dans trois scènes, en particulier celle ou il confesse sa duplicité à sa fille). le metteur en scène a aussi donné une certaine cohésion à l'ensemble en montrant le procès annoncé et repris par la presse, mais aussi par le cinéma; il fait ainsi le portrait d'un pays en pleine mutation, en pleine avancée, aussi, dont la célébration de Noël est l'un des traits: les gens y chantent, en Japonais, tous les chants de circonstances, avant de se souhaiter Merry Christmas! en Anglais dans le texte... ce qui décidément renvoie à l'atmosphère particulière de It's a wonderful life, un film que Kurosawa a certainement vu! Toutes les mutations de la société ne sont pas mauvaises, semble nous dire Kurosawa, dont le personnage-reflet roule en moto, et s'habille (Comme Miyako du reste) à l'occidentale et se plaint de ce que ses compatriotes n'ont pas l'esprit ouvert à l'art lors d'une discussion sur le nu avec son modèle. De même, le metteur en scène laisse la musique de Fumio Hayasaka s'inspirer de la musique ocidentale, tout comme sa musique pour Rashomon sera inspirée dans sa forme par le Boléro de Ravel (Ce qui est d'ailleurs tout à fait approprié). Filmé dans un Japon citadin aussi protéiforme que celui de Chien enragé, c'est un film de Kurosawa à découvrir de toute urgence.