Secrets, 1924
Norma Talmadge était la grande tragédienne de l'écran, dont il faut sans doute rappeler qu'à l'époque du muet, sa popularité la hissait juste derrière Mary pickford - dans un genre bien différent. c'ets lors d'un contrat de quatre films avec la First National que Borzage a été amené à travailler avec la grande actrice pour deux films, celui-ci et The lady (1925). Secrets étonne aujourd'hui, d'une part par la finesse du jeu de Norma talmadge, dont on se demande pourquoi on ne nous montre pas tous les films séance tenante. Ensuite, la construction en flashbacks et le jeu de point de vue, entièrement soumis aux souvenirs d'une femme, sont très impressionants, permettant au film d'échapper à la convention mélodramatique. Enfin, le film est une histoire d'amour qui transcende tout sur son passage, et ça, on le verra bientôt, c'est le terrain de jeu privilégié de notre metteur en scène...
Mary Carlton, une vieille dame, se désespère: son mari va mourir. elle se confie à son journal intime et entame un voyage dans ses souvenirs: lorsque John l'avait enlevée en Angleterre parce que son père ne voulait pas de ce prétendant sans fortune, puis leur fuite vers les Etats-Unis; comment John avait tenu tête à des bandits alors que leur fils unique se mourait; le soutien inattendu des parents lors d'une crise conjugale, suivie d'une réconciliation; puis John se réveille, et Mary aussi...
Norma Talmadge ne se contente pas de jouer avec le maquillage et les années, elle incarne cette histoire d'amour d'une grande subtilté, et on est captivé par son charme et son charisme. De plus, Frances Marion scénariste et Borzage ont mis tous deux la barre très haut, multipliant les ruptures de ton: l'enlèvement est une comédie presque boulevardière, relevée d'un érotisme qui reviendra, lorsque John aide mary un peu gênée à se changer: cette promiscuité inattendue est la marque des amours Borzagiennes... Après la comédie, la quasi-western de la seconde partie, avec un John qui bataille ferme contre les assaillants extérieurs, alors que Mary se rend compte de la mort de leur enfant, mais la cache afin de ne pas gâcher les chances de John de vaincre les bandits: à l'issue de la confrontation, son mari devient ainsi un héros local, grâce à ce sacrifice. C'est enfin à elle que revient le choix de continuer ou de repousser son mari qui a fauté. Là encore, elle prend la bonne décision. Tout porte à croire que la survie de John, l'homme tant aimé dans ce beau film, est entièrement conditionnée à la volonté de cette femme extraordinaire...
Première incursion à ma connaissance dans l'amour absolu pour Borzage, le film porte sa part de miracle, de beauté, de cet étrange lien sacré entre les êtres. Il est porté par une actrice exceptionnelle...
Secrets, 1933
Avec
le remake réalisé par Borzage (Qui rejoint ici une confrérie d'auteurs qui ont été amenés à refaire eux-même leurs films, ce qui fait de lui un égal d'Hitchcock, Hawks, DeMille, Walsh, Duvivier
et gance), c'est Mary Pickford qui incarne l'héroïne. L'histoire est désormais totalement linéaire, le film commençant avec le flirt, puis la fuite des deux amants. Ensuite, le passage des ans
permet de visiter quelques unes des étapes de leur périple, et Leslie Howard comme Pickford sont vraiment à la hauteur... Mais on regrette le sens du sacré si présent sur la première version. Le
choix du flash-back permet à la version de 1924 de constamment pouvoir faire ressentir la gravité de l'enjeu, et à la fin de toucher au miracle, alors que cette nouvelle version joue sur la
légèreté, et l'humour. Seule concession au mélodrame absolu, la scène de la mort de l'enfant repose entièrement sur le don pour la pantomime de Mary Pickford, et c'est une grande réussite. Le
reste tient plus de la comédie sentimentale, jouant ça et là sur les mêmes émotions que les scènes de la version de 1924 (On retrouve en particulier cette scène de promiscuité durant laquelle
leslie Howard déshabille littéralement Mary Pickford).
Ce film est un remake qui ne s'imposait pas, certes, mais au moins on apprécie de retrouver Mary Pickford dans un film à la hauteur de son talent, et pour Borzage cette commande bien assumée lui permet de continuer à imposer sa marque, avant de réaliser l'un de ses plus beaux films à la Columbia...