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15 juin 2012 5 15 /06 /juin /2012 10:27

Quand on y pense, il n'y a pas grand chose qui ressemble à Seven, du moins dans ce qui est sorti auparavant; on peut quand même reprendre l'hypothèse (D'ailleurs confirmée par les commentaires audio de Fincher sur certains films) qu'il ait été influencé par Michael Mann et son Manhunter (1986), d'autant que ce dernier film repose sur le lien qui s'établit entre un tueur et un "profiler", celui-ci étant sollicité jusqu'aux limites de l'identification; on peut sans aucun doute attribuer l'existence du script de Seven au grand succès de Silence of the lambs, de Jonathan Demme, qui a remis le thriller au gout du jour en obtenant une inattendue distinction pour un film de ce genre: la statuette de meilleur film aux Academy awards de1991... Si ce n'était pas clair à l'époque de la sortie du film alors que le bleu Fincher était un quasi inconnu, le reste de sa carrière a confirmé que si le metteur en scène s'est acquitté d'un travail exceptionnel, ce qu'on prenait pour une fascination exercée par le mal sur le metteur en scène est une fausse piste. Bien sur, il s'intéresse au mal, mais ce qui frappe aujourd'hui, après avoir vu les films ultérieurs, en particulier The panic room, Zodiac, The social network et The girl with the dragon tattoo, c'est l'étonnante posture morale du metteur en scène. Lui qu'on accuse à tort et à travers de faire dans l'excès de virtuosité, est surtout un champion du placement juste et rigoureux, de la scène parfaitement accomplie, et a su se placer sur un terrain mouvant en sécurité, montrant la fascination exercée par le mal sur des êtres en prise directe avec le crime, mais à bonne distance... Ses films sont d'abord et avant tout des histoires consacrées à des êtres mus autant par une vision morale qu'une obsession savamment contrôlée, ...jusqu'à un certain point de rupture.

L'inspecteur Somerset, qui va prendre sa retraite, est flanqué pour ses derniers jours d'un nouveau, le jeune et impulsif David Mills. Les deux hommes font équipe, en bougonnant, sur une meurtre crapuleux et sordide, un homme ayant été retrouvé ligoté, devant une assiette qui a servi d'arme du crime, le tueur ayant obligé sa victime à manger jusqu'à éclatement. Les deux hommes qui ne s'apprécient guère vont devoir vite s'apprivoiser, en effet, ils vont être confrontés à la découverte d'autres crimes perpétrés par le même tueur, tous en rapports avec les sept pêchés capitaux. Et ils ont aussi vite rencontrer l'homme qu'ils recherchent, un certain John Doe, autant dire un inconnu, qui a une oeuvre à accomplir...

"John Doe", David Mills et William Somerset: trois hommes, trois visions du monde, mais ils partagent quelque chose, du moins théoriquement; ils ont une morale. Celle-ci est différente: pour "Doe" (Kevin Spacey), la morale est à peu près aussi simpliste que celle du baptiste le plus néandertalien, mais ce qu'il en fait n'est pas banal. il n'oublie même pas de s'inclure dans son plan diabolique, en prenant conscience de sa propre insuffisance humaine. Il est un visage du mal, idéal puisque insaisissable. On en saura bien peu sur lui, Fincher privilégiant les informations génériques à son égard... Lors de la confrontation avec les deux détectives, l'inspecteur Mills tend à le prendre pour un simple maniaque, alors que Somerset trahit par des regards expressifs l'inquiétude que lui inspire le fou homicide. Chez Mills (Brad Pitt), la morale est liée à une vision impulsive du bon droit, ce qui le pousse parfois à commettre des as de travers, l'un des plus notables étant cette façon de défoncer la porte du coupable, dont le domicile n'a été trouvé que grâce à une source illégale. Mills est un flic inachevé, qui a des leçons à prendre de Somerset, et dont l'impulsivité est motivée par une certaine tendance à l'indignation. Enfin, Somerset (Morgan Freeman), qui a de la bouteille, et des lettres, est un homme d'expérience, qui tente par tous les moyens de conserver son sang-froid en toute circonstances. Il est reconnu instantanément par tous comme un sage, à tel point que Tracy, l'épouse de Mills (Gwyneth Paltrow), se confiera à lui afin de dire ce qu'elle ne peut pas dire à son époux... Le film est finalement un confluent de ces trois visions.

La rigueur de Fincher est très impressionnante, qui le pousse à ne commettre aucun faux pas dans ce film, en particulier en matière de point de vue: on n'aura jamais le point de vue du criminel, à l'exception d'une scène magistrale, au cours de laquelle il rejoint "ses" enquêteurs, pour effectuer avec eux la dernière partie de son plan. Si on a vu Doe à deux reprises, c'est toujours via le point de vue de Mills et Somerset. Mais au cours de cette scène située à la fin du deuxième acte, les deux inspecteurs rentrent au poste, et dans le même plan, une voiture s'arrête, dont on ne voit que les roues, et la partie inférieure de la carrosserie. un homme descend, on ne voit bien sûr que ses jambes, et de dos il se rend au poste. dans les plans suivants, on ne peut le voir qu'au loin, alors que la caméra continue à cadrer Mills et Somerset... Fincher a introduit Doe dans le cercle de narration, il va désormais pouvoir lui aussi nous faire partager son point de vue.

Mise en scène, planification, ces mots sont de fait communs au vocabulaire de Fincher et de Doe. On le sait, Seven est un film dur, de par l'inventivité des scénaristes, qui se sont surpassés pour donner à voir une "oeuvre" novatrice de la part du film. C'est sans doute de cette donnée que vient la réputation usurpée de complaisance du metteur en scène. Mais ce qui a vraiment attiré Fincher est ailleurs... On n'a que rarement filmé avec tellement de détresse la noirceur du crime. Le film reste un des plus étouffants et claustrophobes de la carrière de Fincher, avec ses plans de ville ruisselante de pluie, ses petits matins blêmes, et ses conversations autour d'un cadavre à faire vomir. Le rythme, la façon dont le metteur en scène manipule le suspense, et la montée de la tension, tout concourt à faire de Seven une expérience, un voyage un peu hallucinogène, en dépit de l'extrême rigueur narrative. C'est dire si le deuxième long métrage d'un petit génie inconnu a mérité son succès énorme. Il sera aussi beaucoup imité, mais c'est sans importance: il est, de fait, unique.

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Published by François Massarelli - dans David Fincher Noir