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6 mai 2011 5 06 /05 /mai /2011 18:54

La motivation première de mankiewicz avec ce film est assez évidente: il voulait faire un film noir, comme deux ans avant lui Wilder avec son Double indemnity (Auquel le film fait d'ailleurs allusion). L'idée, c'est que ce genre était selon lui un prétexte à montrer de quoi il était capable en matière de mise en scène... Mais de là à considérer ce film comme jetable, il y a un pas que je ne franchirai pas. Selon la biographie de Kenneth Geist, Mankiewicz est sorti de Dragonwyck avec une impression désagréable, estimant que Lubitsch, le producteur attitré bien que non crédité du film, avait sérieusement empiété sur ses plates-bandes; il souhaitait donc faire un film sans aucune interférence, quitte à accepter un producteur en titre, à condition qu'il lui laisse une paix royale sur la plateau. pour la dernière fois avant A letter to three wives, Mankiewicz a participé au scénario, ce qui se sent dans le dialogue souvent incisif, et a su insuffler certains thèmes qui reviendront avant longtemps dans ses films.

 

Honolulu, pendant la guerre; Un homme se réveille dans un hôpital de fortune. Il est amnésique, et ne possède comme souvenir de sa vie d'avant l'armée qu'une lettre assassine, l'accusant de tous les maux. Instinctivement, il dissimule son amnésie au moment de retourner à la vie de civil, et cherche à découvrir l'identité de cet homme, lui-même, dont on lui répète qu'il s'appelle George W. Taylor, mais qui n'arrive pas à mettre la main sur ses souvenirs. Et bien sur, il tombe bien vite dans un impressionnant panier de crabes...

 

La quête de Taylor, interprété par John Hodiak, dont le physique passe-partout et l'étrange moustache sied très bien au scénario d'un homme perdu hors de ses souvenirs, est une quête du vide. Comme de juste, Taylor mettra beaucoup de temps avant de faire du sens avec tout ce qu'il va trouver; et le résultat de sa quête sera bien peu satisfaisant; Taylor est assez peu intéressant, mais Hodiak le joue de façon très appropriée, comme un brave type pris forcément malgré lui dans une affaire qui ne peurt que le dépasser! Autour de lui, l'hétérogénéité règne: Richard Conte fait de son rôle ambigu un personnage très séduisant, et le grand Fritz Kortner (Die Büchse der pandora, de Pabst, également connu sous le nom de Loulou, c'est avec lui!) compose une silhouete inoubliable, assez proche du personnage joué par Sidney Greenstreet dans Casablanca. Par contre, la maitresse du moment de Zanuck, Nancy Guild, n'a aucun intérêt. On se console avec les seconds rôles, toujours une source d'inspiration pour Mankiewicz. ici, des gens qui font une petite apparition sont dotées instantanément d'une vie propre, d'une identité, ce qui renforce l'idée de vide de "george Taylor"... A la fin du film, d'ailleurs, celui-ci disparait de l'écran, et on nous donne à voir ce qui aurait du rester dans les coulisses, une réflexion d'un policier à un de ses collègues, un clin d'oeil rigolard au fait qu'une fois qu'il a retrouvé son identité, le personnage de "George Taylor" cesse d'exister à l'écran.

 

Outre cette attraction du vide, cette quête d'un certain homme introuvable, insaisissable, responsable de tous les maux, qu'on appelle Larry Cravat, le film nous présente aussi l'idée d'une personnalité-puzzle, une idée qui reviendra sans cesse dans son oeuvre, sous de multiples formes, et bien sur en jouant constamment avec les souvenirs des protagonistes. Ici, cette tendance au kaléïdoscope sert aussi à n'en pas douter à masquer le vide plutôt qu'à le souligner... Cette quête des tenants et des aboutissants d'une affaire vieille de trois ans, qui a poussé des gens vers la fuite (Anzelmo) d'autres vers la folie (Michael conroy), d'autres enfin à disparaitre purement et simplement (Cravat) est en quelque sorte le faucon Maltais du film, c'est aussi une intrigue proche du mythe. un mythe à ne pas trop prendre au sérieux, bien sur, comme les fausses informations véhiculées dans Five fingers, ou les allégations délirantes dans People will talk...

 

Ce qui compte, bien sur, c'est l'atmosphère, et à ce niveau Mankiewicz a mis le paquet... la mise en scène est en effet très solide, depuis les premières scènes qui mèlent avec bonheur caméra subjective (Une tendance très prononcée dans le film noir à cet époque, avec Daves et son Dark passage, ou The lady in the lake de Robert Montgomery) et prises de vue objectives. L'essentiel du film se passse de nuit, et dans des lieux propices au film noir. on peut dire que la copie rendue est de belle facture; Tout est dans le dosage, et on peut estimer que Mankiewicz ose moins que Wilder deux ans auparavant. Mais son film est beaucoup moins baroque, précurseur de films noirs de la Fox qui iront vite vers plus de réalisme selon la volonté de Zanuck (Nightmare alley, Call Northside 777), tout en ménageant une place pour l'atmosphère propre au genre. Donc, tout ceci fait un film qui remplit son office: montrer que Mankiewicz est un metteur en scène sur lequel on peut compter...

 

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Published by François Massarelli - dans Joseph L. Mankiewicz