Le plus ancien film conservé de John Ford fait partie d'un ensemble de westerns, produits par Universal. A la base, l'idée était de tourner des films vite faits avec Harry Carey en vedette, d'utiliser les décors (Ceux des studios Universal, mais aussi des paysages aussi naturels que possible) au maximum, et d'assembler deux bobines; mais pour ce film, Ford a été plus loin, et a obtenu un certain succès avec le résultat final, qui emmène les aventures du cowboy joué par Carey vers des hauteurs qu'on ne soupçonnait peut-être pas à l'époque. Cheyenne Harry (Carey) est un hors-la-loi engagé par un gros propriétaire, pour exproprier par la force une famille de fermiers. Harry est prêt à accomplir la mission, mais venant pour menacer, voire tuer ses cibles, il les surprend en pleine cérémonie: ils viennent d'enterrer l'un d'eux, le fils du vieux fermier, abattu de dos. Harry décide de passer de l'autre côté, et va les aider à lutter, puis à ameuter d'autres fermiers pour se défendre.
La prairie, les bêtes, les chevauchées... Ford se définissait à cette époque comme un débrouillard "avec un certain flair pour la composition", et on ne peut lui donner tort. Si le metteur en scène avait déjà la réputation de tourner vite, le style visuel est déjà très fort... Et son talent pour installer une atmosphère particulière avec un rien (Ici, la pluie et une beuverie composent une scène de digression comme il y en aura bien d'autres, dans un saloon miteux), mais aussi pour aller au bout des caractérisations de ses personnages, est là aussi présent. Et un thème, au-delà d'un sentimentalisme familial qui ne le quittera jamais, affleure dans ce film, celui de l'étranger, de l'outsider: Cheyenne Harry, hors-la-loi assimilé à la violence, est attiré par la vie des fermiers auxquels il vient en aide, mais comme Bim (Just pals), ou Ethan Edwards (The searchers), il en est exclu: Ford utilise le cadre de la porte comme il le fera dans d'autres films pour montrer qui est à l'écart, et qui a le droit d'entrer... Harry tombe amoureux de Joan, la fille du fermier (Molly Malone). Il lui faut choisir: la cavale, ou la vie à deux. Le film ne semble pas vraiment choisir, et on jurerait qu'il plaque deux fins l'une sur l'autre: d'abord, Harry laisse la jeune femme à son ami de toujours, puis Joan vient chercher un obligatoire baiser pour retenir le cow-boy...
Pour finir, sur un film très attachant, on constate que Ford a déjà l'oeil pour repérer des endroits qui donnent un cachet époustouflant à une scène: ce passage étroit entre deux roches, on le reverra souvent chez lui, et chez Keaton aussi. Il profite du surcroît de pellicule dont il dispose pour pousser ses caractérisations à l'extrême, avec cette science des petits gestes qui sera un atout de tous ses personnages dans tous ses films, il expérimente avec le cadre en piquent à son frère Francis une technique de mise en relief par le biais d'objets mis au premier plan (si c'est Francis qui a enseigné ça à son assistant de frère, le fait est que John "Jack" Ford en fera à lui seul une impressionnante marque de fabrique). Il raffine avec bonheur la séquence à la Griffith d'une maison assiégée, qui se solde par une prouesse de montage, et enfin il donne vie à une foule de personnages qui sont autant d'immigrés potentiels, dotés d'une vie propre, à des lieues de tout archétype. Voilà qui en finit de cristalliser au sujet de ce film l'idée qu'on y assiste à la naissance d'un style bien personnel... En même temps qu'à une sorte de vraie naissance d'un genre: une fois que Ford aura montré le chemin le western ne sera plus jamais le même.



